Les polices internationales viennent de frapper deux grands coups contre le «dark web», ces plateformes où s’échangent sans contraintes armes, drogues et numéros de cartes de crédit volées.

Mardi, le Russe Alexander Vinnik, 38 ans, opérateur présumé de la plateforme de bitcoins BTC-e, soupçonnée de blanchiment à grande échelle, était arrêté en Grèce. Sa chute suit de peu celle du Canadien Alexandre Cazes, un programmeur de 26 ans, arrêté à Bangkok le 5 juillet.

Animateur du marché virtuel AlphaBay, spécialisé dans le commerce de produits illicites, Alexandre Cazes s’est suicidé une semaine plus tard en s’étranglant dans sa cellule avec une serviette, selon les autorités thaïlandaises.

Le Département de la justice américain, qui détaille l’affaire dans une plainte, s’intéresse à une piste suisse dans cette enquête, révélait jeudi la lettre d’information Gotham City.

Après le démantèlement de Silk Road en 2013, le démantèlement d’AlphaBay montre que le combat continue

Federico Paesano, spécialiste des utilisations criminelles du Bitcoin

Selon la plainte américaine, Alexandre Cazes possédait un compte suisse contenant 781’000 dollars, et plusieurs comptes en bitcoin, une monnaie virtuelle, chez Bitcoin Suisse AG à Baar, dans le canton de Zoug.

Nationalités exotiques

Amateur de passeports de complaisance (il possédait la nationalité d’Antigua), Alexandre Cazes voulait devenir chypriote. Il avait acheté une villa à 2,38 millions d’euros sur l’île avec l’aide du cabinet zurichois Henley & Partners, spécialisé dans l’acquisition de nationalités exotiques. La villa devait être financée par l’argent virtuel déposé chez Bitcoin Suisse AG, selon la justice américaine, qui demande la saisie des comptes zougois. Pour les ouvrir, Alexandre Cazes se serait présenté comme agent immobilier et investisseur en bitcoin.

Contacté par Le Temps, Bitcoin Suisse AG n’a pas fait de commentaire sur le cas. Mais l’intermédiaire financier affirme qu’il «coopère toujours avec les autorités suisses […] pour prévenir et aider à investiguer les crimes en matière de cryptomonnaie et de blanchiment», indique dans un courriel son directeur Niklas Nikolajsen.

Paiements anonymes

Le double coup porté à Alpha Bay et BTC-e est très significatif, selon Federico Paesano, spécialiste des utilisations criminelles du bitcoin au Basel Institute on Governance.

A première vue, les deux affaires sont distinctes. Mais il y a un lien organique entre les plateformes de commerce illégal comme AlphaBay et celles d’échange de bitcoin. «Le bitcoin était la seule monnaie acceptée sur AlphaBay parce qu’elle permet de ne pas dire qui vous êtes, où vous êtes», explique cet ancien enquêteur de la Guardia di Finanza italienne.

Pratique pour les paiements anonymes, le bitcoin présente néanmoins un problème. Pour en profiter, il faut le transformer en vrai argent – et c’est à cela que servait BTC-e. Son démantèlement, ainsi que celui d’AlphaBay et d’Hansa, un autre marché criminel virtuel animé par deux Allemands, montre que «les polices parviennent bien à fermer ce genre de plateforme», estime Federico Paesano. «Après le démantèlement de Silk Road en 2013, cela montre que le combat continue et que ces lieux font l’objet d’enquêtes actives.» BTC-e est aussi la cible d'une amende de 110 millions de dollars infligée par le centre antiblanchiment américain, le FinCen.

Sur AlphaBay, on pouvait acheter des virus informatiques, des données bancaires volées, de la cocaïne ou des armes pour des montants se chiffrant en centaines de millions de dollars par an, selon les autorités américaines, ce qui en faisait le plus grand marché mondial du «dark web».

Ce succès fulgurant a valu une fortune immédiate à Alexandre Cazes. Mais malgré toutes ses précautions informatiques (utilisation du système de cryptage TOR, du bitcoin, etc.), il est tombé pour avoir imprudemment indiqué son e-mail personnel, créé sur hotmail, dans les messages de bienvenue destiné aux utilisateurs de son site.

«Il est tombé à cause d’une erreur, comme tous les criminels», conclut Federico Paesano.