Forum Horizon 2023

«Le Temps» vous invite à venir prendre le pouls de l'économie suisse et mondiale le 2 février prochain à l'IMD, à Lausanne. Avec notamment la participation de Philipp Hildebrand, ancien président de la BNS, Guy Parmelin, conseiller fédéral chargé de l'économie, et Marie-France Tschudin, numéro deux de Novartis. Informations et inscription à l'adresse: events.letemps.ch/horizon

«Si vous ne deviez en retenir qu’un, quel serait l’événement à ne pas rater cette année à Davos?» Posée par un journaliste lors de la présentation du programme de la 53e édition du Forum économique mondial (WEF), la question a quelque peu décontenancé les organisateurs du rendez-vous, mardi dernier. Après un temps de réflexion, le directeur opérationnel Adrian Monck a transmis la «patate chaude» à son président Borge Brende.

L’ancien ministre des Affaires étrangères norvégien hésite, puis fait son choix: «Je pense que c’est tout de même la discussion qui sera consacrée à la manière dont on pourra minimiser l’impact de la récession attendue cette année.»

En l’absence de grosses têtes d’affiche politiques, il sera en effet beaucoup question de politique monétaire et de conjoncture durant la manifestation qui rassemblera à Davos, de lundi à vendredi, quelque 3000 personnes, principalement issues de l’économie. Avec la guerre en Ukraine, la thématique avait déjà monopolisé l’attention en mai dernier, lors de la 52e édition du WEF: «Le monde fonce-t-il vers la récession?», titrait alors Le Temps, se faisant l’écho des préoccupations des participants.

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Huit mois plus tard, si l’économie mondiale montre quelques signes d’affaiblissement, elle ne rompt pas. Aidée par une météo plus clémente que prévu qui a réduit les besoins énergétiques, la zone euro échappe pour l’instant à une récession technique (deux trimestres consécutifs de recul du produit intérieur brut), ce qui suscite un certain optimisme pour les mois à venir. Les prévisionnistes s’attendent désormais plutôt à une contraction légère de l’économie, avec, fait inhabituel, un marché de l’emploi qui résistera en raison de la pénurie structurelle de main-d’œuvre.

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Ralentissement ou petite récession?

Selon des données publiées vendredi, l’économie allemande a fait mieux que prévu en 2022, avec une hausse du produit intérieur brut de 1,9% sur l’ensemble de l’année (contre +2,6% un an plus tôt) et une stagnation durant le dernier trimestre. «Il y a quelques mois, il y avait des inquiétudes sur les prix de l’énergie qui étaient légitimes. Les prix ont depuis reflué, et cela a soutenu la consommation», rappelle François Savary, responsable des investissements chez Prime Partners. L’économiste souligne que les effets des mesures de soutien adoptées par de nombreux gouvernements ont été sous-estimés par les prévisionnistes ces derniers mois.

L’intervention étatique massive observée depuis bientôt trois ans a d’ailleurs aussi contribué à attiser l’inflation, l’obsession monétaire du début de la décennie. Sur ce front-là aussi, la situation se détend. Le niveau général des prix a ralenti à +6,5% sur un an aux Etats-Unis le mois dernier, loin du pic de +9,1% de juin. Il s’agit de la première baisse observée depuis près de trois ans.

Dans la zone euro, le renchérissement devrait également dépasser pour 2022 la cible de 2% poursuivie par la Banque centrale européenne (BCE), mais dans une moindre mesure qu’aux Etats-Unis et avec de fortes disparités entre les Etats ayant adopté la monnaie unique. A +7,9% en 2022, l’inflation a atteint un niveau inégalé depuis 1951 en Allemagne, alors qu’elle est mesurée à +5,2% dans l’Hexagone. «Ce qui reste marquant, c’est la force de l’inflation sous-jacente [sans l’énergie et l’alimentation, ndlr], note Nadia Gharbi, économiste auprès de la banque Pictet. Cet indicateur va retenir toute l’attention en 2023 et va être le plus regardé par la BCE.»

Prendre le pouls de la conjoncture avec le tableau de bord de l’économie

Comment expliquer que le cœur de l’inflation continue de battre si fort, malgré les hausses des taux d’intérêt opérées par les autorités monétaires des deux côtés de l’Atlantique ces derniers mois? La faute au «rebond post-pandémique», avance Nadia Gharbi, mais aussi à la «diffusion de la flambée de l’énergie sur les prix de certains biens et services».

La grande crainte, c’est qu’une spirale inflation-salaires ne se déclenche. Pour l’heure, un tel mouvement ne semble pas s’être engagé puisque les augmentations octroyées par les employeurs restent en moyenne inférieures au renchérissement et ont même ralenti ces derniers mois aux Etats-Unis. Le marché de l’emploi demeure toutefois au centre de l’attention de la Réserve fédérale américaine (Fed). Son président, Jerome Powell, estimait en décembre la pénurie de travailleurs à quatre millions de personnes et a fait comprendre que la Fed était prête à tout pour éviter un emballement inflationniste.

Les économistes et autres investisseurs présents à Davos ne manqueront donc pas de se perdre en spéculations et en conjectures pour savoir quand l’institution mettra le holà à son durcissement monétaire. Emportées par un élan d’optimisme, certaines voix minoritaires misent même sur le début d’un assouplissement en fin d’année. Si l’histoire leur donne raison, cela signifiera que l’économie américaine a commencé à bien fléchir, ce qui rappelle à quel point les autorités monétaires évoluent sur une ligne de crête.

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La bouteille à l’encre chinoise

Dans le creux de la vague, l’évolution de l’économie chinoise sera elle aussi source d’interrogations. En 2022, l’activité a été étouffée par les confinements à répétition liés à la politique zéro covid. Si l’espoir revient après l’abandon de cette stratégie, la situation à court terme est particulièrement difficile pour la plupart des acteurs. Le mois de décembre a été marqué à la fois par la fin des confinements et par le début d’une vague covid massive qui a poussé beaucoup de Chinois à se cloîtrer chez eux, soit parce qu’ils étaient malades, soit parce qu’ils avaient peur de le devenir.

Résultat, la Chine a fini l’année dans la douleur: l’indice PMI des directeurs d’achat mesurant l’activité industrielle, publié le 31 décembre, pointe à 47, son niveau le plus bas depuis février 2020, quand l’irruption de la pandémie a mis le pays à l’arrêt. C’est le troisième mois d’affilée en dessous de la barre des 50, qui marque une contraction de l’activité.

Les échanges commerciaux chinois ont aussi dégringolé: signe que la consommation se porte mal, les importations ont chuté de 7,5% sur un an en décembre, après un recul de 10,6% en novembre, d’après les chiffres des douanes publiés vendredi. Les exportations, qui avaient servi de moteur à l’économie chinoise jusqu’à la mi-2022, alors que la consommation intérieure et l’immobilier souffraient, ont elles aussi chuté de 9,9% en décembre, après un recul de 8,7% en novembre. En cause, la demande mondiale qui s’essouffle sur fond d’inflation et de hausse des taux. Au total, sur l’année 2022, les importations ont progressé de 1,1%, contre 30,1% de hausse en 2021, année marquée par la reprise après-covid, et les exportations ont augmenté de 7%, contre +29,9% en 2021.

Cette période difficile pourrait durer quelques semaines encore, mais des signaux favorables apparaissent déjà. Dans la plupart des grandes villes chinoises, le pic des infections est déjà passé, d’après les chiffres du trafic routier et de la fréquentation des transports en commun diffusés par le Ministère des transports. Dans les usines, l’essentiel des perturbations semble aussi terminé: «Les deux dernières semaines de décembre, nous étions à 50% ou 60% des effectifs seulement, on a dû baisser la production et déplacer des employés pour éviter les fermetures complètes», explique un cadre de chez Michelin en Chine. Même constat dans une entreprise française de chimie basée à Shanghai: «Il n’y a quasiment plus d’absents aujourd’hui», précise un responsable de cette usine.

Fin décembre, Han Wenxiu, un responsable de la Commission centrale des affaires économiques et financières chinoises, sous l’autorité du président Xi Jinping, a prédit des difficultés pour le premier trimestre, et à partir du second, une reprise «à un rythme accéléré». «Nous avons confiance en nos capacités pour relancer l’économie chinoise en général», a-t-il déclaré, insistant sur deux facteurs clés pour la reprise: la consommation des ménages et l’immobilier.

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Incertitudes énergétiques

Inédite, la configuration économique actuelle a des accents schizophréniques pour l’Europe. D’un côté, le redémarrage chinois est attendu avec impatience, car il dynamisera le commerce mondial, mais, s’il est trop puissant, il va exercer une forte pression à la hausse sur les prix du pétrole et du gaz, réveillant le spectre d’une envolée des cours. Dans la journée de vendredi, le baril de Brent s’échangeait à un peu plus de 84 dollars, un montant en hausse de 6 dollars par rapport aux niveaux observés en début d’année 2022, mais encore bien en deçà des quelque 140 dollars affichés quelques semaines après l’arrivée des premiers chars russes sur sol ukrainien.

Car le spectre du choc énergétique plane toujours sur le continent. «La question du gaz se posera à nouveau et la Russie ne sera probablement pas là pour reconstituer les stocks. L’Europe risque de devoir composer avec la poursuite de la guerre et la reprise en Chine, ce qui va repousser les prix à la hausse», prévient François Savary. L’énergie s’impose donc bien comme le talon d’Achille de l’Europe, qui pourrait subir «une perte de compétitivité industrielle à long terme», conclut Nadia Gharbi.

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