Jeudi 10 février 2022 à 16:00
En ligne

Le cloud computing (informatique en nuage), a envahi nos vies. Particuliers, entreprises et administrations utilisent de plus en plus ces services informatiques pour sauvegarder leurs données, les partager et faire tourner des applications à distance. Les géants de la technologie multiplient leurs offres et bâtissent sans cesse de nouveaux centres de données, aussi en Suisse. Et si le cloud computing n’en était qu’à ses débuts? Et si nous n’avions qu’effleuré le potentiel de cette technologie?

C'est pour répondre à ces questions que la rédaction du «Temps», avec le soutien d'Oracle, a organisé une conférence en ligne le 10 février 2022 de 16h à 17h.

Parmi les experts présents: Maxime Claux (vice-président, ELCA Cloud Services), Régis Louis (vice-président, EMEA Cloud Strategy Oracle) et Jean-Pierre Hubaux (professeur, EPFL Laboratory of Data Security). Cette vidéoconférence était animée par le journaliste spécialiste en nouvelles technologies Anouch Seydtaghia.

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Comment définir le cloud?

Régis Louis: Le cloud représente un ensemble de services informatiques accessibles par Internet à travers un fournisseur. Il dispose de plusieurs caractéristiques: la possibilité d’accéder à une infrastructure mutualisée sur simple demande. Son accès par Internet, en libre-service. Le fait qu’il repose dans des fermes de serveurs. L’élasticité immédiate de son environnement qui peut s’adapter à la demande. Enfin, tous les services dans le cloud sont mesurés, le client paye donc à l’usage chacun des services dont il a besoin.

Mais existe-t-il différents types de cloud?

Régis Louis: On peut en définir trois. L’«Infrastructure as a Service» (IaaS) tout d’abord. C’est l’infrastructure du cloud. On parle du matériel, du stockage ou encore des réseaux. La «Platform as a Service» (PaaS) ensuite. Il s’agit tout simplement d’applications middlewares (interlogiciel) qui nous permettent de gérer les applications classiques. On évoque ici les systèmes d’exploitation ou encore les bases de données. Le «Software as a Service» (SaaS) ensuite, la dernière couche. On y retrouve les applications couramment utilisées (visioconférence, messagerie en ligne, gestion des achats, etc.).

Amazon Web Services (AWS), Microsoft Azure ou encore Oracle sont des géants du cloud dans le monde...

Régis Louis: Oui, avec la différence qu’Oracle propose les trois types de cloud computing qu’on a évoqués précédemment pour accéder à l’ensemble de services partout dans le monde.

Et en Suisse, comment se positionnent de plus petites structures par rapport aux leaders mondiaux?

Maxime Claux: Chez ELCA nous sommes avant tout un partenaire des grandes plateformes cloud (AWS, Azure, GCP et Oracle, Azure). La majeure partie de notre activité cloud se fait d’ailleurs sur ces plateformes. Nous avons déjà accompagné de nombreuses entreprises Suisses sur le cloud, depuis la stratégie jusqu’à l’opération des applications. Notre approche est hybride multicloud. C’est-à-dire que nous privilégions l’utilisation de plusieurs cloud provider simultanément afin de profiter du meilleur de chacun. En complément nous avons également un cloud 100% Suisse souverain et on peut interconnecter le tout.

A lire: ELCA mise à son tour sur le label suisse pour son cloud

La société lausannoise ELCA a lancé son «cloud souverain suisse», en s’associant aux entreprises romandes Safe Host et BrainServe - DR
La société lausannoise ELCA a lancé son «cloud souverain suisse», en s’associant aux entreprises romandes Safe Host et BrainServe - DR

Quel regard porter sur l’évolution de cette technologie?

Jean-Pierre Hubaux: Le cloud a atteint un niveau de maturité remarquable en matière d’offres commerciales. Il est devenu rapidement extrêmement populaire et utilisé partout dans le monde. L’évolution technologique est devenue tellement rapide que des investissements matériels sont désormais souvent désavantageux pour les utilisateurs. Il est donc préférable pour eux de faire appel à des ressources mutualisées et hébergées dans le cloud. Il reste cependant des questions à se poser au niveau de la souveraineté et de la protection des données.

Sans le cloud, un géant comme Netflix n’aurait jamais pu devenir ce qu’il est aujourd’hui?

Maxime Claux: C’est un bel exemple. Cette entreprise américaine s’est lancée en 1997 en proposant un service de location de DVD à distance. Le Netflix tel qu’on le connaît aujourd’hui, proposant un service de vidéo en ligne, est né en 2007. Il ne serait jamais devenu le géant mondial qu’il est aujourd’hui sans le cloud.

Les entreprises vont-elles finalement finir par externaliser la totalité de leurs services informatiques?

Jean-Pierre Hubaux: En réalité, c’est déjà parfois le le cas. D’ailleurs, cela a tout son sens, notamment pour des entreprises dont le cœur de métier n’est pas l’IT (technologies de l'information), mais qui ont cependant besoin d’utiliser des logiciels.

Régis Louis: C’est un phénomène qui existe depuis plusieurs années aux États-Unis. On voit que cela arrive en Europe, avec des clients qui arrêtent d’avoir leur propre data center pour aller dans le cloud. Il leur permet d’avoir accès à une technologie de très haut niveau sans avoir à dépenser énormément d’argent. Le cloud, pour moi, c’est une véritable démocratisation de la technologie.

Maxime Claux: En Suisse, les petites entreprises se lancent aujourd’hui souvent sans infrastructure. Elles préfèrent s’appuyer en totalité sur le cloud. Pour les grands groupes, c’est plus compliqué et cela prend plus de temps à cause de la dette technologique accumulée.

Est-il risqué pour une entreprise suisse d’héberger ses données à l’étranger?

Maxime Claux: Certains secteurs sont très règlementés, d’autres non. Ainsi, il peut n’y avoir aucun problème à utiliser un cloud localisé à l’extérieur de nos frontières. C’est même souvent conseillé pour des questions de coûts, la région Suisse des cloud étant en général plus cher. Par contre, pour certains cas (technologie non supporté sur un cloud publique, contraintes légales, coûts, données particulièrement critiques) il est essentiel d’utiliser un cloud basé en Suisse.

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Un centre de données – image d’illustration. — © 123rf
Un centre de données – image d’illustration. — © 123rf

Le cloud est aujourd’hui partout. Mais ne lui fait-on pas trop confiance?

Jean-Pierre Hubaux: Le modèle d’affaires est tel que les entreprises proposant ces services doivent obligatoirement proposer une excellente sécurisation. Il n’y a pas trop d’inquiétude à avoir à ce niveau-là. Par contre, il faut être conscient que le fournisseur de cloud peut en général lire les données de ses clients, car il doit être en mesure de d’exécuter les traitements de données (les calculs) que lui demande le client.
Il existe des solutions techniques pour couvrir également ce risque, soit sous forme de processeurs sécurisé («trusted execution environment») soit sour forme de  logiciel (chiffrement homomorphe). Elles ont leurs avantages et leurs inconvénients et sont en cours de développement et de déploiement.

Qui dit gouvernance du cloud dit gestion des risques qui en découlent...

Maxime Claux: Les mesures techniques pour se protéger sont les mêmes partout, et pour tout le monde. Par contre, ce qui diffère porte sur l’adaptation entre les mesures prises. On ne pourra jamais comparer les besoins d’une PME et les besoins du service d’un hôpital qui héberge des données médicales sur ses patients...

Oracle est une entreprise américaine. Pourquoi venir en Suisse et ne pas tout faire à distance?

Régis Louis: On a lancé notre premier data center il y a 2 ans en Suisse. Il est nécessaire d’être le plus proche de ses clients avant tout pour bénéficier d’une localisation des données. Cela peut être nécessaire d’un point de vue règlementaire et c’est aussi important psychologiquement pour nos clients. Ensuite, pour des questions de performances : Quand le data center est proche de l’entreprise cliente, la latence d’accès aux données est plus faible, donc l’utilisation des logiciels plus efficiente.

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Le cloud permet de faire des économies financières très importantes. Et au niveau de l’environnement?

Régis Louis: On peut dire que le développement des data center provoque un impact négatif pour la planète. Cependant, les éditeurs de cloud font en sorte que leur stratégie de déploiement ait un impact sur l’empreinte carbone la plus faible possible. Tous nos data center en Europe sont entièrement alimentées par de l'énergie 100% renouvelable. Nous produisons nos propre serveurs et pouvons recycler à 99.6 % de l’ensemble de nos serveurs. 

Maxime Claux: C’est une question que de nombreux clients se posent. Mais rationalisation aussi tout cela. On participe en ce moment à une conférence en ligne dans le cloud, on a aussi évité aux nombreux participants de se déplacer.

Jean-Pierre Hubaux: Renoncer au cloud serait un gaspillage gigantesque, car les machines physiques seraient sous-utilisées. C’est un inconvénient évité grâce au cloud. Par contre, en faisant cela, on contribue au développement des technologies de l’information. C’est un choix philosophique que l’humanité se devra d’avoir: jusqu’à quel point va-t-on vouloir aller dans le numérique? A ce jour, la course est galopante. Je rappelle que notre système économique a tenu bon pendant la pandémie grâce à Internet.

Le secteur du jeu vidéo ne sera-t-il pas le prochain bouleversé par le cloud?

Régis Louis: C’est déjà le cas aujourd’hui! Certains constructeurs ont annoncé qu’ils ne fabriqueront plus de consoles. On a fait de tels progrès qu’on peut aujourd’hui voir très loin. Les jeux vidéo vont pouvoir s’appuyer sur ce maillage de réseau mondial, cette rapidité de la fibre et bénéficier aussi de la puissance de calcul immense des ordinateurs. Ces avancées techniques permettent aujourd’hui déjà d’accéder à des jeux vidéo dans le cloud.

De nombreuses entreprises telles Google Stadia, Shadow ou encore Boosteroid proposent aujourd’hui de jouer à des jeux vidéo dans le cloud - DR
De nombreuses entreprises telles Google Stadia, Shadow ou encore Boosteroid proposent aujourd’hui de jouer à des jeux vidéo dans le cloud - DR

D’autres secteurs pourraient-ils être bouleversés par le cloud?

Jean-Pierre Hubaux: Le monde de l’école est encore à la traine. La vie associative, la vie politique, l’engagement citoyen pourraient tout à fait bénéficier du cloud. Après, cela amène une autre question. Veut-on vraiment que nos jeunes passent leurs vies connectées au cloud? C’est un vrai questionnement philosophique, mais on dépasse ici le cadre du débat.

Régis Louis: Pendant la pandémie, le cloud a permis de continuer l’enseignement à distance. Il a montré la capacité de certains secteurs à se réinventer. Je vois un autre domaine où le cloud prend de plus en plus d’importance: la santé.

Mais est-il raisonnable de miser sur le tout numérique alors que l’électricité risque de manquer à terme?

Régis Louis: L’énergie est le nerf de la guerre. Cependant, on travaille déjà sur des modèles énergétiques qui permettent de se reposer sur du renouvelable. On est dans la vague d’après. Et sur un côté pratique, si on regarde comment un data center fonctionne, il peut tout à fait passer sur un modèle d’alimentation annexe en cas de black-out pour ne pas s’arrêter.

Maxime Claux: On a toujours réussi à répondre à un problème technique par la technique. On produit de plus en plus de calculs avec de moins en moins de puissance. Je suis très optimiste.

Jean-Pierre Hubaux: On ne peut pas pointer le cloud du doigt en l’accusant de toutes les fautes. Le bon sens est important. Grâce au cloud, on peut remplacer de nombreux voyages professionnels en avion par des vidéoconférences. Il faut cependant sensibiliser la population pour montrer que le cloud reste une technologie gourmande. Le problème énergétique est un des grands défis de l’humanité, avec le climat.