Événement
Que faire pour s'améliorer à la course à pied tout en se blessant le moins possible? La rédaction du «Temps» a organisé une vidéoconférence en ligne avec plusieurs experts mercredi 7 juillet de 17h à 18h

Activité sportive accessible, synonyme de liberté et réputée excellente pour la santé, la course à pied fait de plus en plus d'adeptes. Pour autant, si tout le monde sait courir depuis son enfance, il est nécessaire de comprendre et d'assimiler plusieurs règles pour élever ses performances, moins se blesser et prendre encore plus du plaisir.
Pour en parler, nous avons mobilisé 3 personnes:
- Michaël Duc. Coordinateur du service de médecine du sport à la Clinique romande de réadaptation (CRR Suva), il est spécialiste en athlétisme et en entraînement de force.
- Boris Gojanovic. Médecin du sport à l'Hôpital de La Tour à Meyrin (GE), il est également membre de la société suisse de médecine du sport (SSMS) et président du réseau romand de médecine de l'exercice et du sport (RRMES).
- Charlotte Moerman. Spécialiste de la course à pied en pleine nature, la jeune femme de 26 ans est membre de l'équipe suisse de trail de Salomon. Elle est aussi marraine du Jura Swiss Trail.
Cette vidéoconférence en ligne était animée par le journaliste sportif Lionel Pittet. Cet événement était soutenu par le Groupe Mutuel. Dans ce cadre, vous pouvez le revivre intégralement et gratuitement en tête d’article. Nous vous proposons également un résumé à lire ci-dessous.
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Partie 1: discussion entre les experts et le journaliste
Quels conseils donner pour courir sans se blesser?
Charlotte Moerman: Tout d'abord d'y aller progressivement et ne pas céder à la tentation d'augmenter son volume, même si on est très motivé. Si nos muscles s’adaptent très rapidement, il est préférable d'augmenter la fréquence petit à petit. Commencer la course à pied par un ultra-trail de 100km est utopique!
Michael Duc: Je suis d'accord. La progressivité est un facteur clé. Il faut aussi réfléchir à plusieurs facteurs: d’où part-on? Quel est son historique? Est-on amateur ou sportif aguerri? Tout cela fait une énorme différence. Après, il y a plusieurs facteurs. Je pense notamment à l’âge ou le poids. Il faut aussi ne pas oublier de pratiquer un renforcement musculaire adéquat. Donc je recommanderai tout d'abord de bien évaluer son niveau, puis d'y aller pas à pas.
La course à pied est-elle une activité bénéfique pour la santé?
Boris Gojanonic: Bouger est bénéfique pour la santé. La course se prête totalement à cela, d'autant plus que ce sport reste finalement très accessible. C’est donc une excellente activité pour la santé. Après, en tant que médecin, mon rôle va être de voir s’il y a des éléments qui nous feraient prendre plus de précautions pour un coureur en particulier.
Y'a-t-il des contre-indications qui empêcheraient de courir?
Boris Gojanonic: Elles sont plutôt rares. Tout d'abord dans le cadre de certaines maladies, notamment si vos articulations sont très irritées. Si vous avez des problèmes cardiaques, courir n'est pas du tout impossible, mais il est nécessaire de clarifier les choses. Globalement, il y a beaucoup plus de personnes que l’on pense qui peuvent courir. Même si vous avez des douleurs au dos ou de l’arthrose oui, vous pouvez courir. On est souvent trop précautionneux à ce sujet.
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Le poids est-il un problème pour aborder la course à pied?
Michael Duc: La course, c'est une succession de chocs que vous faites subir à votre corps. De ce fait, cela pourrait même être considéré comme une réelle discipline de force. Mais parallèlement, il faut aussi se poser d’autres questions: a-t-on de bonnes chaussures? Dispose-t-on d’un bon gainage? Je recommande toujours la progressivité. Avant de courir de longues distances, cherchez d'abord à alterner la marche et la course pour voir comment votre corps réagit. Mais il n'est pas du tout antinomique de faire de la course tout en étant en surpoids.
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Que faites-vous pour vous préparer?
Charlotte Moerman: Je suis une grande adepte de l'entraînement croisé. C'est-à-dire de s'entraîner dans plusieurs disciplines et pas uniquement dans mon sport principal. J’aime beaucoup le vélo, surtout en montée. Je nage aussi un peu. L’hiver, je pratique le ski de fond et le ski de randonnée. Par ailleurs, il y a toujours le risque qu'une blessure vous casse votre préparation. Faire d'autres sports permet de continuer son entraînement. Enfin, il est important de varier ses activités pour continuer d'avoir du plaisir. Aussi, si je ne suis pas vraiment fan de l'entraînement en intérieur, je travaille beaucoup le gainage. C'est essentiel si vous souhaitez améliorer votre posture et utile pour limiter les douleurs au dos.
Quand on se lance dans une course longue distance, ne doit-on pas être prêt à souffrir?
Boris Gojanonic: C’est tout un débat. La douleur est une notion finalement assez individuelle que chaque coureur perçoit différemment. Quand on arrive à la blessure c'est tout autre chose: on va devoir la respecter pour l’apprivoiser et qu’elle n’aille pas au-delà d’un certain seuil. S’il n’y a pas de conséquence et qu’on récupère bien, on peut aller au-delà.
Charlotte Moerman: Forcément, quand on fait une course, il y aura de la douleur et de la souffrance. Mais l’expérience permet de voir quand la souffrance est bonne ou mauvaise. C'est quelque chose de difficile à exprimer mais que tous les coureurs peuvent comprendre.
Partie 2: questions des internautes
Quels sont les signes annonciateurs d'un surentraînement? (Gabriel)
Boris Gojanonic: A force de pratiquer, on risque d’avoir des douleurs musculaires, d’avoir des difficultés lors de la mise en route, donc au début d’une course. Ces signes peuvent annoncer un surentraînement.
Charlotte Moerman: Quand on voit qu'on progresse, on peut se voir gagner par de l'euphorie. C'est normal, mais cela empêche aussi de se limiter, il faut donc faire attention. Généralement, je peux détecter un surentraînement lors d'un l’échauffement. Si je ressens de la fatigue, c'est que quelque chose cloche. Et si cet état perdure plusieurs jours, je comprends que je dois réduire ou couper ma pratique pour une certaine période.
Michael Duc: C’est parfois un manque dans sa programmation qui mène les gens à une volonté d’en faire plus. Et c'est là que la surcharge arrive. La clé, c’est vraiment la progressivité.
En trail, je ne sais pas comment descendre, je freine trop... (Stéphane)
Charlotte Moerman: Tout d'abord, il ne faut pas chercher à trop attaquer sur le talon. Essayez plutôt de mettre le poids de votre corps sur l’avant plutôt que sur l’arrière. Il ne faut ensuite pas chercher à regarder ses pieds, mais plutôt 3 à 5 mètres devant. Cela peut paraître difficile, mais c'est essentiel pour anticiper le terrain, prendre confiance et donc aller plus vite! N’oubliez pas de vous aider de vos bras. Ecartez-les pour gérer votre équilibre, c'est très important.
Comment bien choisir une paire de chaussures? (Ana)
Charlotte Moerman: Trouver une bonne paire de chaussures reste un choix très personnel. De mon côté, j’aime sentir ce qui est sous mes pieds. Je n’aime pas vraiment des chaussures épaisses, avec beaucoup d’amorties. Mais il est vrai que pour des sorties très longues, mon choix pourra être différent. J’évite toujours les chaussures qui proposent des corrections pour les foulées. Je privilégie donc des chaussures neutres. Prenez des chaussures simples, que vous aimez et dans lesquelles vous vous sentez bien.
Michael Duc: Il y a beaucoup de marketing autour du marché de la chaussure de running. La chaussure qui convient à quelqu’un est probablement la meilleure. On a tendance à trop vendre de chaussures aux coureurs. Charlotte l’a dit, elle a ses attentes: la sensation de sentir le sol. C’est un excellent indicateur.
Boris Gojanonic: Il y a un énorme business autour du matériel de la course à pied, c'est vrai et il faut en tenir compte. Je recommanderai toujours de demander conseil à un bon vendeur qui connaît ce qu'il vend dans le cadre d’un achat. Après, il reste néanmoins très difficile d’identifier la bonne chaussure pour soi lors d’un test de quelques minutes réalisé sur tapis en magasin. J’ai néanmoins l’impression qu’aujourd’hui, les gens arrivent à nettement mieux choisir leur matériel. Je rajouterai un point crucial qui est souvent peu abordé: attention si vous décidez de changer de chaussures. Opter par exemple pour un nouvelle paire de chaussures avec des semelles par exemple très fines alors que vous avez l'habitude de portez des semelles très épaisses, ou vice versa, n'est pas une bonne option. Vous risquez de vous blesser.
Charlotte Moerman: Je suis d'accord. Courir quelques secondes sur tapis n'est pas idéal pour faire son choix. Par contre, plusieurs marques proposent aujourd'hui d'essayer des chaussures lors de journées tests en pleine nature.
J’ai de nombreuses courbatures et des tendinites. Que faire? (Stéphane)
Michael Duc: La courbature n’est pas considérée comme une pathologie. C’est une adaptation à l’entraînement, c’est normal. Par contre, la tendinite c’est autre chose.
Boris Gojanonic: La tendinite est un cas très fréquent. Devoir encaisser des impacts très forts, c’est quelque chose qui va entraîner une difficulté d’adaptation des tissus. Je pense notamment aux tendons. Ce ne sont pas des blessures dangereuses heureusement, mais c’est quelque chose qui peut durer des mois. Pour des coureurs, cela peut perturber toute une planification, et même une carrière professionnelle. La préparation physique additionnelle est très utile pour éviter ces tracas. Mais il y a une limite: les personnes qui courent pour se faire plaisir ne veulent généralement pas s'embarrasser de tout un plan de préparation. C'est tout à fait compréhensible et on devrait probablement plus réfléchir à comment intègrer cette préparation directement dans la pratique de la course à pied.
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J’ai 84 ans, l’âge est-il une problématique pour la course à pied? (Indien)
Boris Gojanonic: Rassurez-vous. Votre âge, n’est pas forcément une contre-indication, au contraire même. Si vous avez des problèmes de santé, la course peut d'ailleurs être un bon complément thérapeutique. Elle apporte de nombreux effets bénéfiques. Les risques avec l’âge sont surtout articulaires, ils peuvent perturber la foulée. Il faut aussi accepter qu’on va courir moins vite qu'avant et envisager potentiellement des sorties moins longues.
Comment s’échauffe-t-on en course à pied? (Lionel)
Charlotte Moerman: Cela dépend de son niveau. Je m’échauffe généralement en courant à allure très réduite, le tout pendant 20 minutes. Ensuite, je vais réaliser plusieurs exercices de foulée.
Michael Duc: Pour une sortie longue, on va plutôt opérer à un court programme en montant en intensité au niveau de sa vitesse jusqu'à être chaud. Il ne faut pas oublier des exercices techniques, comme le précise Charlotte. Beaucoup de gens auraient à gagner à pratiquer des exercices de techniques de course.
Se rapprocher d’un club, c’est utile? (Marie)
Michael Duc: Bien sûr, notamment car il y a un aspect convivial à courir en groupe. Et comme je l'ai précisé précédemment, vous pourrez notamment prendre des conseils pour améliorer votre technique de course. C'est très utile.
En fin de séance, comment bien récupérer? (Karine)
Boris Gojanonic: La meilleure façon de bien récupérer c’est d’être bien prêt pour votre course! Donc, en réalité, tout se passe avant! Après, c’est vrai que si on a vraiment poussé très fort pendant une course, la récupération sera plus difficile. Il faudra se recharger sur le plan alimentaire et dormir suffisamment. De nombreuses autres méthodes existent: prendre un bain à l’eau froide par exemple. Des coureurs apprécient aussi de récupérer en s’isolant et en méditant.
A partir de quel pourcentage de pente en montée, est-il préférable de marcher plutôt que de courir? (Sylvie)
Charlotte Moerman: C’est très personnel. Personnellement, je m’entraîne beaucoup en montée donc j’essaye toujours de courir, du moins quand je peux le faire. Une solution intéressante serait d’alterner course et marche pour garder un bon rythme.
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Le coureur de montagne est-il si différent du coureur sur bitume? (Hervé)
Michael Duc: Le coureur de montagne a des muscles plus développés qu'un marathonien classique qui court sur la route. C’est intéressant à voir et cela prouve aussi que les disciplines qu'ils pratiquent sont finalement assez différentes et spécifiques.
Courir des trails de 200km, est-ce vraiment raisonnable?
Boris Gojanonic: Raisonnable, je ne suis pas sûr! Possible, oui. Ce sont des épreuves physiques et mentales très difficiles, qui demandent beaucoup de temps de préparation. J’ai parfois la crainte d’une surenchère chez certains coureurs et des organisateurs de courses qui cherchent à proposer des parcours toujours plus longs.
J’ai recommancé à courir après 10 ans d’arrêt (et 10 kilos supplémentaires). J’ai des douleurs dans le creux du pied malgré des semelles orthopédiques. Que faire? (Agnès)
Boris Gojanonic: Le pied, après des années, se modifie dans sa structure et sa capacité à encaisser les chocs. On rajoute la prise de poids, et à la fin on n'est pas vraiment étonné de ce que vous arrive. Les semelles ne peuvent pas résoudre votre problème. Il faut plutôt opter pour un programme très progressif d'entraînement.
Que faire pour lutter contre le syndrome de l’«essuie-glace»? (Sarah)
Charlotte Moerman: Cette blessure est l'une des plus répandues dans le milieu de la course à pied! Je l'ai eu et pour la faire disparaître j'ai pratiqué beaucoup de spinning et de renforcements des fessiers. Cette blessure vient souvent d’un manque de stabilité des hanches.
Que pensez-vous de la course minimaliste, c'est-à-dire notamment courir avec des chaussures légères, flexibles dont les semelles sont extrêmement fines? (Ryan)
Michael Duc: On a connu un vrai effet de mode ces dernières années avec des personnes qui ont décidé de pratiquer ce type de course. Cela a notamment mené à des blessures car beaucoup n'ont pas du tout opté pour une approche progressive. Or, passer du jour au lendemain de chaussures épaisses et lourdes à des chaussures extrêmement fines et légères n'est pas recommandé. Nos ancêtres courraient pieds nus. Et dans nos sociétés européennes, on court désormais avec des chaussures. C’est une question piège car il y a énormément de débat et de vivacité autour de cette thématique. Je répondrai que oui, c’est possible, mais il faut vraiment y aller avec progressivité.
Mais alors, comment courir plus vite? (Kleo)
Charlotte Morman: Paradoxalement, il faut tout d'abord savoir courir lentement et longuement pour développer une bonne endurance de base. Notamment lors des montées. Après il faut faire des intervalles. N'hésitez pas aussi à diversifier vos activités pour surprendre votre corps.
Boris Gojanonic: Il faut tout d'abord bien s’entraîner pour rester en bonne santé et ne pas se blesser. Il faut aussi parfois refuser de courir pour bien récupérer ou se préparer à une course. Et enfin, pratiquer d’autres sports. Cela ne perturbera pas votre capacité à courir plus vite.
Michael Duc: Courir en montée est une excellente chose. Pousser vers le haut, va développer votre corps. L’entraînement d’endurance est souvent sur du long terme. L’entraînement de force est plutôt réalisé lors de petites sessions, plus explosives. Il serait aussi intéressant de s’adresser à un spécialiste pour comprendre quelle serait la bonne méthode d'entraînement et le bon programme pour vous à définir en fonction de vos objectifs.