Mercredi 12 août 2020 à 17:00
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Le Forum des 100 a été reporté au vendredi 25 septembre et aura lieu au Swiss Tech Convention Center de l'EPFL. Ce live-chat est réalisé dans le cadre d'une série de rendez-vous, les Tête-à-Tête du Forum des 100 en amont de l'événement. Post-Covid: la technologie peut-elle nous sauver? C'est le thème de l'édition 2020. Inscription: www.forumdes100.ch

 

 forum des 100

 

Il s’est fait connaître avec la marque textile Switcher, lancée en 1981. Et il n’a cessé depuis d’innover en matière de développement durable. Robin Cornelius, Lausannois d’origine suédoise, né à Stockholm en 1956, c’est l’alliance d’un esprit éminemment pratique et d’un visionnaire toujours en éveil. En 2005, il lance la société Product DNA SA et sa plateforme de traçabilité Respect-code.org. L’idée? Permettre aux marques actives dans le textile, la cosmétique, l’horlogerie et la joaillerie, l’alimentation, la construction… de démontrer le sérieux de leur engagement auprès de ceux qu’il appelle les consom’acteurs.

Sa conviction: l’Homo economicus est en passe d’être remplacé par l’Homo respectus. Un néologisme bien trouvé. Les entreprises qui veulent se différencier de leurs concurrents n’ont en effet d’autre choix que de tenir compte des critères de durabilité. Et de garantir à leurs clients un accès à une information claire et sans équivoque sur les produits qu’ils envisagent d’acquérir. «Quoi de plus légitime?» souligne volontiers Robin Cornelius.

Mais comment distinguer les sociétés sérieuses des virtuoses du green washing? L’intelligence artificielle et la technologie de la blockchain au service d’une économie respectueuse de l’environnement, d’accord. Mais de quelle manière procéder? Les produits écoresponsables sont-ils forcément plus chers? Et se dirige-t-on, suite à la crise du Covid-19, vers la relocalisation de certaines industries?

Lors d’une discussion en ligne, Robin Cornelius a répondu à toutes vos questions. Découvrez ses réponses ci-dessous.

Avec le recul que vous donnent vos expériences avec Switcher dans le domaine textile, remarquez-vous vraiment une envie croissante chez les consommateurs de pouvoir tracer la provenance des biens qu’ils achètent? (Sophie)

Sophie vient de «sagesse». Cette envie croissante remonte à quelques années seulement, je dirais cinq ou six ans. Les réseaux sociaux, les blogs aidant, cette notion de traçabilité, un peu abstraite certes, est néanmoins fondamentale pour le consommateur voulant connaître comment, sous quelles conditions sociales et environnementales, un produit est réalisé et où.

Est-ce que la traçabilité est un business rentable? Votre société Product DNA est-elle bénéficiaire (Yves K.)

La traçabilité des produits est rentable en quelques mois. Elle est nécessaire pour toute entreprise souhaitant mieux maîtriser ses chaînes d’approvisionnement puis entreprendre une démarche de transparence envers le consommateur et se démarquer de ses concurrents. Pour Product DNA, soyons honnêtes, le retour sur investissement suit un cycle beaucoup plus long. Cela est dû aux investissements digitaux importants réalisés ces cinq dernières années pour adapter notre plateforme de traçabilité Respect-code.org aux technologies: blockchain, intelligence artificielle, micro-vidéos. Le break-even est prévu pour fin 2021. Cela représente beaucoup plus qu’un business, c’est une vision, laquelle, lorsqu’elle est bien calibrée, a un impact et un potentiel sans limites, car elle est au service d’un consommateur en devenir: l’Homo respectus, pour lequel le respect est une finalité à laquelle on ne pourra plus déroger. Sans limites, enfin, n’importe quelle entreprise va mieux pouvoir se faire connaître, partager sa vision, ses valeurs au travers des blogs et réseaux sociaux notamment, où le consom’acteur pourra s’exprimer, voire revendiquer le droit à l’information sur n’importe quel produit ou service mis sur le marché.

Vous êtes né en Suède? Y a-t-il encore quelque chose de suédois en vous? (Ikea 😉)

En fait, bien qu’ayant vécu en suisse depuis ma tendre enfance, je dirais oui, absolument. La mentalité nordique est en général moins spontanée qu’en Suisse, elle-même l’étant moins que dans les pays méditerranéens. Le Nord est propice aux concepts mûrement réfléchis: Ingvar Kamprad et Ikea, la famille Rausing (Tetra Pak), la famille Persson (H&M). Tous se sont basés sur un concept à long terme bien défini. Pour ceux qui me connaissent, je serais plutôt des Pouilles ou de l’Algarve concernant le privé. S’agissant du professionnel, d’une réflexion sur la société de demain, du futur de nos enfants, je suis toujours porté par une vision visant l’intérêt général. La bibliothèque Billy d’Ikea? Le berlingot de lait de Tetra Pak? Un Habit H&M? Quant à moi, depuis quinze ans, avec Product DNA? Faire parler les produits.

A votre avis, la pandémie va-t-elle accélérer la transition vers un monde plus durable ou au contraire la freiner? (Dirk)

L’accélérer. C’est plus qu’une transition, Dirk, nous vivons un changement de paradigme. On se rend compte que l’économie est au service de la société et non l’inverse. Une économie forte, responsable et respectueuse de l’environnement est la seule voie à mes yeux pour une démocratie durable. Le drame de cette pandémie nous a fait prendre conscience qu’en Suisse et ailleurs les instances étatiques ont su réagir d’une manière immédiate et respectée et se porter en soutien à l’économie. Alors oui, l’accélération des prises de décision, la solidarité envers les corps de métier exposés lors du confinement, la transparence de l’information avec en toile de fond le respect de l’intérêt général, c’est une situation inédite.

En quoi l’utilisation de la blockchain aide les entreprises à rendre leurs produits plus transparents? (Dirk)

La blockchain n’aide pas à rendre des opérations liées à la réalisation d’un produit plus transparentes mais permet surtout d’apporter une crédibilité renforcée aux informations publiées. Qu’il s’agisse d’un certificat ou d’un rapport d’audit, le nom de l’auteur(e) de la publication reste en quelque sorte comme gravé dans le marbre. Elle accélère les processus de saisie (handshakes) renforce la sécurité et apporte une productivité accrue et un échange d’informations démultiplié entre les diverses parties prenantes. La blockchain peut néanmoins avoir un bilan énergétique qu’il faut bien considérer. Pour cela, nous avons opté pour une blockchain de type privée ou «semi-privée» et non publique, moins énergivore: Guardtime®’s KSI® Blockchain en partenariat avec Sicpa, entreprise vaudoise sise à Prilly, en Suisse, comme tous nos développeurs internes et nos serveurs d’ailleurs.

Quels sont les secteurs où la traçabilité est la plus prisée? Le luxe? L’alimentation? Le textile? Et pour quelles raisons? (Marie)

Je dirais tous. Le luxe, par rapport aux divers métiers insoupçonnés au savoir-faire exceptionnel, qui devraient être valorisés; l’alimentation, particulièrement pour les produits locaux; le textile, de par les nombreuses étapes des chaînes d’approvisionnement à maîtriser. Pour n’en citer que trois: respect des conditions sociales pour la confection, produits chimiques utilisés dans les colorants et utilisation éventuelle de pesticides lorsque l’on remonte jusqu’aux champs de coton. A ce sujet, depuis deux ans déjà, ECOM Trading, un des leaders mondiaux du négoce de coton, basé à Pully (VD), a entrepris et intégré la traçabilité avec Product DNA.

La traçabilité, n’est-ce pas un truc de bobo qui renchérit les prix? Dans une période où tout le monde devra se serrer la ceinture, je crains que la durabilité ne passe au second plan… (Marcel)

Le bobo est-ce la personne qui cherche à s’informer sur un produit qu’elle envisage d’acquérir ou celle qui porte son choix se basant uniquement sur la notoriété du produit, voire son prix? Si pour certains, acheter au meilleur prix est le seul critère, pour une communauté grandissante de consommateurs, connaître l’impact environnemental et social réel, quantifiable et mesurable, soit la durabilité, passe au premier plan. Cela nécessite une traçabilité maîtrisée. Quant au coût pour introduire la traçabilité, il est marginal. En d’autres termes, la traçabilité coûte peu mais peut rapporter beaucoup. En chiffres: de l’ordre de quelques pour cent par rapport au budget marketing et communication de n’importe quelle entreprise. Je suis convaincu qu’un rééquilibrage des différents budgets, permettant une communication mieux ciblée, devrait même permettre à terme une baisse des coûts.

Est-ce que vous êtes retourné en Inde récemment? Quel est le rapport avec ce pays? (Will)

Non. Vieux souvenirs.

Vous avez dans votre conseil d’administration des personnalités comme Bertrand Cardis, qui a construit des bateaux et Solar Impulse, et Pascal Meyer de Qoqa. Qu’est-ce que ces profils très différents apportent à Product DNA? Et comment les avez-vous rencontrés? (Lucie)

Et mon partenaire Philippe Glatz, entrepreneur actif dans le domaine hospitalier.

Bertrand est un gestionnaire de projet hors pair. Je lui ai demandé de considérer Product DNA comme un projet en soi que nous devons mener à bon port, enfin, dans plein de ports.

Pascal, c’est un peu Robin de la génération suivante, hyper-rassembleur et roi de la gestion communautaire.

Philippe, mon partenaire, a une vision très pointue de concepts tels que le nôtre, qui fait appel à la société en général.

Avant de collaborer tous ensemble, je croyais être rapide dans mes réflexions… Nous nous connaissons tous par cœur depuis tant d’années, alors on va à l’essentiel. C’est un cadeau magnifique qu’ils soient actifs pour notre compagnie.

Vous avez fait des études d’économie à HEC Lausanne. Est-ce indispensable pour un entrepreneur de passer par l’université? (Sabine)

Non, mais cela aide, ne serait-ce que pour aller chercher son premier crédit et savoir sortir des arguments qui tiennent la route.

Les PME sont-elles réceptives à la notion de traçabilité? (Vincent)

Oui et non, dans le sens où elles sont encore peu informées. Il faut savoir qu’il existe entre 500 000 et 600 000 PME en Suisse, qui représentent 99% des entreprises actives si l’on considère une moyenne de 10 collaborateurs par PME. Elles n’ont souvent pas les ressources humaines nécessaires pour sortir de leurs activités quotidiennes et intégrer cette nouvelle donne qu’est la demande du consommateur qui souhaite avoir plus d’infos sur les produits de l’entreprise et sur ses valeurs. C’est en fait très dommage, car, sans être chauvin, la qualité managériale en Suisse est probablement l’une des plus élevées du monde. Ils auraient tant à dire. Nous sommes là pour les accompagner quelle que soit leur taille. Ils ont certainement quelques milliers de francs à investir pour une solution de traçabilité permettant de communiquer à leurs clients et au marché en général. Créer un département responsabilité sociale et environnementale engendrerait des coûts dix fois plus importants.

La Suisse soutient-elle suffisamment ses entrepreneurs? Et qu’est-ce qui a changé depuis le lancement de Switcher dans les années 1980? (Yann)

En tout cas, lors de cette période du Covid-19, je trouve le soutien assez impressionnant, quelle que soit la taille de l’entreprise. L’Etat n’est plus une instance en retrait dont on se souvient lorsqu’on reçoit ses impôts, mais bien sur le devant de la scène en soutien de la société en général. Attendons de voir par la suite.

Ce qui a changé depuis les années 1980? L’accès au crédit est devenu plus difficile. On me demandait moins de garanties. Par contre, l’accès à l’information est tellement plus aisé: en trois clics on repère, on contacte autant de clients que l’on souhaite. Et pour revenir au soutien, je n’ai pour ma part pas vu passer un kopeck d’aide publique (cela n’était pas dans l’air du temps). Je n’ai pu compter que sur le banquier assez téméraire pour me suivre et séduit par des chiffres en progression.

Vous êtes chef d’entreprise. Avec Switcher, vous avez eu beaucoup d’employés et travaillé à l’international. Quel type de chef êtes-vous? (Marie)

«Chef d’entreprise»… je dirais plutôt entrepreneur («entre les gens»), en allemand on dit Unternehmer («qui porte les gens du bas vers le haut»). Je suis plutôt cerveau droite: créatif, pensée structurée en étoile (je déteste le linéaire). Ce serait plutôt les cerveaux gauches, bien structurés, qui gèrent l’aspect linéaire de l’évolution de l’entreprise. J’ai passé près d’un an dans les avions entre le Portugal, la Chine, l’Inde (plus d’une centaine de fois) pour justement bâtir une vision des achats responsables. J’étais peu au bureau et donc pas du genre control freak. Collégial, sempre.

L’article de présentation de ce live chat vous décrit comme quelqu’un d’ébouriffé. Mais il me semble que, contrairement à ce qu’on pourrait croire, vous ne partez pas dans toutes les directions. En fait, vous creusez le même sillon depuis toujours… (Joanne)

Absolument, Joanne: le même sillon, mais en spirale, pas de manière linéaire:) j’intègre en parallèle plusieurs éléments à la fois et j’essaie de les faire matcher.

Est-ce que dans vos rêves les plus fous vous vous voyez un jour être coté au Nasdaq? (Ben)

Cher Ben, je verrai peut-être le Nasdaq depuis mon nuage. Le plus tard possible.

Vos conflits avec vos partenaires indiens, qui ont abouti à votre départ de Switcher, reposent-ils sur des différends liés à vos cultures respectives? (Julien)

La deuxième génération est rarement comme la première…

Vous pouvez nous en dire plus sur votre collaboration avec Sicpa?

Un communiqué sortira en septembre.

On a tous porté des vêtements Switcher et adoré la marque à la baleine. Qu’en reste-t-il aujourd’hui? (Thomas)

Aucune idée. C’était pour moi une vision plus qu’une marque et cette vision, je l’ai fait évoluer avec Product DNA. Je souhaite servir les entreprises, leurs produits et, bon sang de bonsoir, aider le consommateur à comprendre ce qu’il achète.

Que vous inspirent les dégâts provoqués dans l’industrie textile ce printemps? (Jean)

Un manque de solidarité patent. A la place d’annuler les commandes et de parfois même brûler la marchandise et donc de planter les producteurs. Voilà ce que je ferais si je devais conseiller une marque: on laisse de côté le sacro-saint principe des nouvelles collections, on intègre les coloris 2020 dans les collections 2021. Et on tague ces produits avec une étiquette «Remember Covid-19». Le client s’affiche comme faisant un achat solidaire et en soutien à ceux qui ont morflé durant la crise.

Conclusion

Entrepreneurs de Suisse, si notre démarche vous interpelle, appelez-nous! Ou alors rendez-vous au Forum des 100… où je fêterai d’ailleurs mes 64 automnes!