Mardi 14 décembre 2021 à 13:00
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En 2020, 1280 personnes ont reçu une assistance au suicide en Suisse de la part d'Exit, soit 68 de plus que l’année précédente. Si cet acte médical peut effectivement être autorisé en Suisse, il reste généralement encadré par des conditions strictes. Mais quelles sont les motivations et les situations vécues par les personnes concernées par cette forme d’assistance au décès dans le pays? 

Pour le comprendre, quatre chercheurs (Marc-Antoine Berthod, Dolores Angela Castelli Dransart, Alexandre Pillonel, Anthony Stavrianakis) ont enquêté plusieurs années en suivant de nombreux cas. Ils publient leurs résultats dans «La mort appréciée», livre publié aux éditions Antipodes. Deux d'entre-eux ont répondu aux questions de nos lecteurs.

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Dans quelle mesure l’aide au suicide permet-elle d’accéder plus dignement à la mort? (Laura)

Marc-Antoine Berthod et Alexandre Pillonel: Selon une diversité d’acteurs que nous avons rencontrés dans le cadre de cette recherche, la mort par suicide assisté est perçue comme une mort «douce», «paisible», et «sans souffrance».

Elle a souvent été qualifiée de «sereine» en particulier par les professionnels qui encadrent cette pratique. Il ne nous appartient toutefois pas en tant que chercheurs de nous prononcer sur le caractère digne de ce type de mort par rapport à d’autres fins de vie.

Pouvez-vous nous décrire votre enquête? (Sacha)

Nous avons mené une étude ethnographique sur l’assistance au suicide durant trois ans, sur la base d’un financement du Fonds national suisse de la recherche. L’objectif a été de documenter le plus précisément et le plus concrètement possible ce qui se passe avant, pendant et juste après un suicide assisté. Ce type de description manquait jusqu’à ce jour dans la littérature des sciences sociales.

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Qu’est-ce qui vous a motivé à entreprendre ce travail?

Il y a beaucoup de documents et d’articles qui traitent l’assistance au suicide en Suisse sous l’angle de la bioéthique, des valeurs, des statistiques, mais très peu sous l’angle des acteurs et actrices qui vivent concrètement l’assistance au suicide. Il y avait ici une originalité à saisir qui a nourri notre curiosité et notre intérêt pour ce sujet.

Nous avons aussi souhaité aller à la rencontre du plus grand nombre de personnes impliquées par cette pratique: personnel soignant, familles, proches, personnes qui sollicitent l’assistance au suicide, pharmacien-ne-s, accompagnateurs et accompagnatrices des associations d’aide au suicide, médecins légistes, police, procureur-e-s, pompes funèbres. Ces rencontres ont été souvent très intenses et très riches.

La motivation des médecins pour aider au suicide s’explique-t-elle par le fait qu’ils sont contre l’acharnement thérapeutique? (MW)

Historiquement, les associations pour le droit de mourir dans la dignité, qui émergent au début des années 1980, ont pour objectif de promouvoir l’autonomie des patients concernant leur fin de vie et de trouver une alternative à une certaine forme d’«acharnement thérapeutique». La pratique d’assistance au suicide telle qu’on la connaît aujourd’hui en Suisse s’est ensuite développée et progressivement installée sous une forme qui implique une pluralité d’acteurs - et pas uniquement des médecins - dans un tel processus. Il ne s’agit donc plus seulement de proposer une alternative à l’«acharnement thérapeutique», mais de proposer un accompagnement à certaines personnes qui ont décidé de mettre volontairement un terme à leur vie.

A lire: Vers l’utilisation de «capsules» pour le suicide assisté?

«Sarco», le projet imaginé par Philip Nitschke dit défendre la possibilité de choisir son lieu de décès. — © Exitinternational
«Sarco», le projet imaginé par Philip Nitschke dit défendre la possibilité de choisir son lieu de décès. — © Exitinternational

Quelles sont les alternatives proposées au suicide assisté? (Jean)

Durant la même période et en parallèle à l’émergence des associations d’aide à mourir, l’offre de soins palliatifs s’est développée en Suisse, notamment sous l’impulsion des instances de santé publique. Lors d’une assistance au suicide, les accompagnateurs des associations évoquent et discutent avec les personnes d’autres traitements envisageables, y compris un suivi par une équipe des soins palliatifs.

Il faut ajouter que même s’il existe des cas d’assistance au suicide réalisés sur une temporalité assez courte - entre une et deux semaines - la plupart des situations s’étalent sur une plus longue durée permettant aux personnes d’envisager différentes alternatives à leur fin de vie. Notons aussi que bon nombre de ces personnes recourent à un suicide assisté après avoir expérimenté, voire épuisé d’autres solutions leur permettant de préserver une certaine qualité de vie.

Pourquoi la Suisse reste-t-il un des rares pays à proposer l’assistance au suicide?

Des circonstances historiques et la persévérance de certains acteurs des mouvements pour mourir dans la dignité ont permis l’émergence d’un modèle d’assistance au suicide unique en son genre. Concernant le premier point, durant l’élaboration du premier Code pénal suisse, au tournant du XXe siècle, un suicide n’était plus considéré comme un délit; il apparaissait dès lors comme inadéquat de sanctionner une pratique - l’assistance - pour un acte - le suicide - qui n’était plus un délit. A cela s’ajoute le fait que s’il n’y a pas de motif égoïste à accompagner une personne vers sa mort, l’assistance est tolérée.

Concernant le deuxième point, ce n’est par contre qu’à la fin du XXe siècle que des figures pionnières de l’assistance au suicide ont commencé à suivre des personnes en déclarant à la police leur accompagnement, et à mettre en place une procédure qui s’est installée et adaptée jusqu’à ce jour. L’euthanasie reste par contre illégale alors que cette dernière a été privilégiée dans d’autres pays qui ont légalisé et médicalisé la mort volontaire. En Suisse, un suicide assisté reste catégorisé comme une «mort violente», et le contrôle de l’Etat sur cette pratique se fait de manière post-mortem, via une investigation médico-légale qui intervient juste après le suicide.

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L’âge du patient a-t-il une influence sur la prise de décision? (Hervé)

Oui! Lors des entretiens menés avec les acteurs impliqués dans la réalisation d’une assistance au suicide, cette question de l’âge apparait souvent comme un facteur déterminant la légitimité d’une assistance au suicide. Sans relever d’un critère formel d’accès à l’assistance au suicide, les accompagnatrices et accompagnateurs restent sensibles à cette question, au même titre que d’autres professionnels de la santé. Il paraît toujours plus difficile d’organiser une telle assistance pour une jeune personne par exemple, même si dans certains cas, la pathologie ou la maladie dont elle souffre justifie tout à fait l’accès à une telle démarche.

Est-il possible d’avoir recours à l’aide au suicide lorsque l’on est atteint d’une maladie mentale? (NM)

Il n’y a pas de disposition légale spécifique sur cette question, si ce n’est que la personne qui sollicite une assistance au suicide doit être au bénéfice de sa capacité de discernement. En cas de doute, une expertise psychiatrique pourrait être demandée. Si la capacité de discernement est attestée, rien ne s’oppose formellement à la réalisation d’une assistance au suicide.

Conclusion

Un tout grand merci à tous les lecteurs et toutes les lectrices pour vos questions et votre intérêt pour ce sujet qui ne laisse personne indifférent. Nous n’avons malheureusement pas pu répondre à l’ensemble de vos questions et vous invitons à explorer toutes les facettes de cette réalité du suicide assisté en Suisse au travers des deux ouvrages que nous avons publiés durant cette année 2021.

Les livres «La mort appréciée» et «Post mortem flash-back: scènes de suicides assistés en Suisse»