Mardi 14 septembre 2021 à 17:00
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Depuis toujours, les villes ont été construites par les hommes pour les hommes. A quel changement peut-on s'attendre en matière de planification urbaine, de mobilité et de sécurité pour mieux intégrer les femmes dans l’espace public?

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En préparation du Forum des 100 qui aura lieu le 14 octobre, une conférence a été organisée par «Le Temps» avec l'urbaniste de formation Carmen Tanner, qui partage la syndicature d’Yverdon avec Pierre Dessemontet, et Sarah Droz, ingénieure civil et membre de Lares, association qui s’engage pour une intégration des besoins spécifiques des genres dans la planification et la construction du bâti. Elles ont fait part de leur expérience lors d'une discussion animée par Célia Heron, journaliste et responsable de la rubrique «Société» du «Temps».

Sarah Droz, Carmen Tanner et Célia Héron - DR
Sarah Droz, Carmen Tanner et Célia Héron - DR

Des villes faites par et pour les hommes

Apparues lors de l’ère néolithique, les villes ont depuis toujours été construites par les hommes, pour les hommes. Comment l'expliquer? Pour Sarah Droz la réponse est évidente: «Nos villes ont été construites pour répondre aux besoins de l’époque: les hommes travaillaient, notamment dans l'agriculture, et les femmes restaient à la maison pour s'occuper des enfants et des tâches ménagères. Aujourd'hui, la société a beaucoup évolué, mais les villes, elles, n'ont pas vraiment changé.» Pour illustrer ces propos, Carmen Tanner évoque plusieurs exemples notamment la part du budget public qui serait principalement destiné à financer des loisirs dédiés aux hommes. Des stades, mais aussi des skateparks. «A nous aussi de réfléchir à comment les femmes peuvent investir ces lieux, où elles n'osent pas toujours se rendre, et briser un plafond de verre qui est réel.»

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Skatepark de Vidy à Lausanne - Valentin Flauraud pour «Le Temps»
Skatepark de Vidy à Lausanne - Valentin Flauraud pour «Le Temps»

Vienne, ville pionnière en matière d’égalité

S’il est bien difficile de citer des villes modèles en matière d’intégration, un nom fait pourtant consensus: Vienne. La capitale autrichienne travaille depuis plus de 30 ans sur les questions d’égalités dans l’espace public. A l’initiative de ce long processus, on retrouve Eva Kail, une urbaniste qui a lancé en 1991 une exposition sur la place des femmes dans la ville. «Cette initiative a provoqué de nombreuses mesures liées à l'égalité des sexes tant dans le logement, que les transports ou encore sur la conception des espaces publics» résume l'ingénieure civil Sarah Droz.

Carmen Tanner, vice-syndique de la ville d’Yverdon-les-Bains, évoque de son côté le bénéfice de disposer dans une ville de certaines figures fortes pour faire «avancer les choses», rendant hommage à Liliane Valceschini, ouvrière et syndicaliste connue pour être l'instigatrice de l'idée de la première grève des femmes du 14 juin 1991.

Ouvrière dans l’horlogerie de la vallée de Joux, la syndicaliste vaudoise, indignée des discriminations salariales, est celle qui a donné l’idée de la grève des femmes du 14 juin 1991 à Christiane Brunner.
Ouvrière dans l’horlogerie de la vallée de Joux, la syndicaliste vaudoise, indignée des discriminations salariales, est celle qui a donné l’idée de la grève des femmes du 14 juin 1991 à Christiane Brunner.

Les deux expertes s'accordent: pour pouvoir se réinventer et être plus égalitaires, les villes doivent adopter une politique toujours plus transversale tout en faisant régulièrement appel à sa population. «Ce point est essentiel. Je pense notamment au dialogue entre les architectes et les citoyens. Ce sont eux les premiers usagers de la ville, ils doivent pouvoir s’exprimer et donner leur avis. Nous devons les écouter» précise Carmen Tanner.

Non aux places de parking roses réservées aux femmes

En 2015, Francfort avait décidé de réserver aux femmes des places de parking roses et plus larges que la moyenne au sein de son aéroport. L’initiative, qui partait d’un bon sentiment, avait créé la polémique. Pour les deux intervenantes, il s’agit là d’une erreur grossière à ne plus commettre. «Mais quelle idée! Mais pourquoi faudrait-il réserver des places de parking roses et plus larges à des femmes? C’est totalement contre-productif. C'est dommage, car l'objectif au départ était d'assurer une meilleure sécurité pour les femmes seules, car ces places étaient mieux sécurisées. Mais à la fin, c'est quand même insultant pour nous!» précise Sarah Droz.

Si des efforts restent à faire pour que les villes soient plus égalitaires entre les femmes et les hommes, les intervenantes conviennent que des progrès ont néanmoins été réalisés. «Oui, dire qu'une ville n'est pas égalitaire agace toujours une petite part d’hommes. Notre enjeu est alors d’expliquer et de démontrer l’utilité de nos actions. Heureusement, ce combat n’est plus porté que par des femmes, mais aussi par des hommes, de plus en plus nombreux à nous soutenir. On avance.» souligne Carmen Tanner. «Nous n’avons rien contre les hommes, nous essayons juste de faire en sorte que tout le monde se sent bien dans la cité. Nous voulons simplement l’égalité» ajoute Sarah Droz.

Le changement viendra aussi grâce à la population

Après une interpellation lancée par Léonore Porchet, Lausanne a présenté une série d’actions afin de lutter contre le harcèlement de rue.
Après une interpellation lancée par Léonore Porchet, Lausanne a présenté une série d’actions afin de lutter contre le harcèlement de rue.

Mais alors, comment et par qui le changement peut-il vraiment intervenir? Pour Carmen Tanner, il doit aussi et surtout venir de la base. «Prenons le cas du harcèlement de rue. En Suisse, c’est une collègue verte, Leonore Porchet, qui a décidé de lancer la réflexion à Lausanne en 2016 en déposant une interpellation au Conseil communal. Que s'est-il passé? Cela a été mis à l’agenda politique et des actions ont été réalisées. Grâce à son action, on en parle désormais beaucoup. Il faut oser aborder les politiques. Tout cela est possible par des manifestations ou des pétitions» conclut-elle.