Regard

Folle semaine sécuritaire

La récidive et le sort des délinquants dangereux sont des sujets toujours aussi brûlants, propices à tous les débordements et sources de grande confusion. Il suffit d’observer la folle semaine qui vient de s’écouler pour s’en convaincre.

La fièvre a grimpé avec le procès de l’assassin de Lucie et sa condamnation à la prison à vie et à un internement simple qui n’a pas satisfait ceux qui appelaient à une mise à l’écart d’emblée plus définitive. Les paroles apaisantes du président du tribunal de district de Baden – rappelant que l’intéressé pouvait ainsi tout aussi bien finir ses jours en prison si sa dangerosité persistait – n’ont pas suffi à calmer les esprits.

On comprend la révolte des parents de la jeune fille, dont la mort brutale et injuste aura nourri la méfiance envers le système et en particulier son suivi des condamnés sous probation. On comprend moins l’incursion de certains politiques – un Christophe Darbellay ou un Yvan Perrin – qui s’aventurent loin sur le terrain de la justice, dans un dossier précis, avec des arguments de campagne. On soupire enfin à l’écoute de la frustration si attendue des initiants face au critère peu praticable de l’incurabilité et leur menace de remettre l’ouvrage sur le métier afin de se débarrasser de ces psychiatres trop retenus. La pente glissante de la thématique sécuritaire réserve pourtant toujours pire. C’est un mouvement chrétien conservateur valaisan qui s’est distingué en réclamant un débat sur le rétablissement de la peine de mort pour éviter que les criminels ne bénéficient, à l’instar de cette affaire Lucie, «de trop de clémence».

L’internement à vie tant escompté a pourtant frappé deux jours plus tard là où aucun projecteur ne l’attendait. Le non-amendable en question est un quinquagénaire, qualifié de cas désespéré, condamné à 8 ans par le tribunal régional de Moutier pour des viols sur deux femmes et des abus sur sa fillette. On n’en saura pas beaucoup plus sur la justification d’une mesure aussi extrême. Ce n’est que partie remise. L’homme, qui contestait les faits, fera appel.

Entre ces deux jugements devait encore se produire une récidive. Pour les autorités judiciaires et administratives, malmenées à chaque drame (parfois avec raison) et critiquées pour leurs décisions, la nouvelle ne pouvait pas plus mal tomber. Celle-ci concerne un délinquant sexuel, violeur en série dépendant du canton de Lucerne, libéré et placé sous surveillance électronique. De quoi rallumer la polémique et le débat au parlement sur la suppression de tout congé pour les personnes internées.

Dans ce contexte ultrasensible, les explications semblent toujours insuffisantes pour contenir le vertige. Pourtant, il n’est pas inutile de rappeler que la prison à vie (qui n’est pas égale à 20 ans, ni une promesse de sortie après 15 ans mais la peine maximale et sans limite prévue par le code pénal pour les assassins) permet à elle seule de garder indéfiniment le bourreau de Lucie derrière les barreaux si sa sortie présente des risques évidents. L’internement est une mesure. A ce titre, il n’est pas «mérité», comme cela a été répété, mais doit servir à protéger la société des crimes que certains prédateurs sont susceptibles de commettre une fois leur peine purgée. Couplée à une perpétuité, sa portée pratique est forcément limitée, puisqu’on imagine mal un juge décider que tous les feux sont au vert pour libérer un tel condamné tout en estimant que ce dernier est encore assez dangereux pour être interné.

Dans le labyrinthe d’un droit des sanctions complexe, l’internement à vie rassure ceux qui se méfient de l’examen régulier et parfois trop optimiste des situations (les pronostics trop pessimistes étant par définition impossibles à vérifier). Si l’autorité se doit depuis plusieurs années d’avoir une vision plus pointue en matière d’élargissement, le risque lié à une sortie existera toujours et toutes les expériences réussies n’effaceront pas une once de l’émotion suscitée par un viol ou un meurtre commis par un récidiviste. La réponse à l’anxiété et aux attentes de la population ne saurait toutefois se réduire à un durcissement toujours plus grand dont le résultat risque d’aboutir à une systématique des mises à l’écart ultra-radicales, déshumanisantes et pas forcément justifiées.