– Ces dernières semaines, un sentiment diffus s’est propagé: la Suisse n’a pas d’amis, pas d’alliés.
– C’est à la fois vrai et faux. C’est juste, nous ne faisons pas partie de l’UE et notre statut de neutralité permanente nous interdit d’adhérer à une alliance militaire. Cela étant posé, nous devons donc défendre nos intérêts sans alliés institutionnels. Mais dire que nous n’avons pas d’amis est faux. Des alliances de circonstance sont possibles lorsque nos intérêts convergent avec ceux d’autres pays. Ces convergences sont à géométrie variable. Nous y travaillons et j’ai veillé ces dernières années à entretenir un réseau de contacts dense et efficace, en particulier avec nos voisins.
– Qui étaient nos amis au sein du G20?
– Objectivement, des pays du G20 ont des intérêts convergents avec les nôtres. Des Etats qui, comme la Suisse, ont une place financière importante. La différence, ce sont des grandes puissances qui participent au G20 et influencent ses décisions de l’intérieur. Je ne peux m’empêcher de penser qu’une bonne dose d’arbitraire préside à l’établissement des listes.
– L’isolement institutionnel de la Suisse devient-il un handicap rédhibitoire?
– Ce raisonnement ne résiste pas à l’examen de la réalité. Voyez l’Autriche, le Luxembourg et la Belgique. Bien que membres de l’UE, ils ont dû prendre les mêmes décisions que la Suisse sur le secret bancaire et du fait de l’existence de la directive sur la fiscalité de l’épargne, ils sont dans une position plus sensible que la Suisse.
– Alors, pas d’accord avec votre collègue Pascal Couchepin qui a suggéré que c’était le bon moment pour relancer le débat sur les avantages et les inconvénients de l’adhésion à l’UE?
– Le Conseil fédéral a fixé trois conditions pour pouvoir juger si la voie bilatérale a du succès. D’abord avoir un partenaire, ce qui est le cas. Puis s’assurer que la voie bilatérale reste favorable à notre économie. Enfin préserver la capacité de mener nos propres politiques de façon autonome. Ces trois conditions, cumulées ou considérées individuellement, sont actuellement remplies. Dans les faits, l’évaluation de notre politique européenne est permanente. Les différents instruments qui permettent de gérer nos relations avec nos voisins et avec l’UE sont constamment sous revue. Y compris la voie de l’adhésion.
– C’est de France et d’Allemagne que les attaques les plus sévères ont été lancées contre la Suisse, spécialement avant le G20. N’avez-vous pas négligé le maintien de bonnes relations avec ces voisins?
– J’ai de bons contacts avec mes homologues – d’ailleurs l’UDC en fait sa publicité. Et je les soigne. Nous nous voyons souvent, nous nous téléphonons et nos échanges sont dans l’ensemble constructifs. Pour comprendre les pressions qui se sont exercées sur la Suisse ces derniers temps, il faut les replacer dans leur contexte. Les Etats ont mis beaucoup d’argent pour sauver leur système financier et éviter des effets trop brutaux sur leur économie réelle, sur leurs emplois. Ils ont donc besoin d’argent. Etant donné la difficulté de mettre en place des instruments de régulation du système financier international et une coordination planétaire des efforts de relance, le G20 se focalise sur la coopération fiscale, un terrain sur lequel la France et l’Allemagne se sont montrés très actifs. Dans ce contexte difficile pour la Suisse non admise au sein du G20, il est important de conserver la capacité de moduler nos alliances et d’avoir de bonnes relations avec d’autres pays que nos voisins. C’est par exemple le cas avec la Chine ou avec la Russie dont nous représentons les intérêts en Géorgie.
– Vous avez été ministre des Finances du canton de Genève. Vous êtes bien placée pour savoir qu’un Etat doit garantir à tous ses contribuables un traitement équitable devant l’impôt. Et vous pouvez aisément concevoir comme il était rageant pour le ministre des Finances d’un pays étranger de reconnaître son impuissance contre l’évasion de fortunes considérables vers des pays non ou peu coopératifs en matière fiscale.
– Tout d’abord je tiens à souligner que pour le gouvernement suisse, il n’a jamais été question de couvrir des délits fiscaux. Cela dit, je salue le pas que nous avons franchi. C’est un pas vers davantage d’éthique. Ce pas était nécessaire car il n’y avait plus de compréhension à l’étranger pour notre distinction entre l’évasion et la fraude fiscale. La Suisse se place ainsi de façon proactive. Elle accepte les standards internationaux reconnus en matière de coopération fiscale et se battra pour obtenir des conditions similaires applicables à toutes les places financières. Plus généralement, il est frappant que les questions légitimes de la justice fiscale et de l’éthique dans la finance reviennent sur le devant de la scène lors de toutes les crises financières.