La «Gemeinschaft», l’art de l’union, sauvera-t-elle l’Allemagne en crise?
Surréaliste, la campagne électorale en Allemagne: tel a été le diagnostic fréquemment entendu de la part d’observateurs étrangers. Pourtant, certains traits de la campagne sont parfaitement usuels pour ce pays. Ainsi, il est normal que l’attention soit focalisée exclusivement sur les deux personnes qui briguent le poste de chancelier, Angela Merkel et Frank-Walter Steinmeier. Mais surtout, la CDU n’a jamais été autre chose qu’un «Kanzlerwahlverein» – une association pour faire élire le chancelier. L’absence de programme cohérent s’explique ainsi.
L’absence de vrai débat, de confrontation entre les deux protagonistes tient au «Gemeinschaftsgefühl» (sentiment communautaire) qui est de mise dans ce pays. Les Allemands, depuis les penseurs du Romantisme comme Hegel, Herder, Fichte, conçoivent leur peuple, leur pays, leurs valeurs comme quelque chose de mythique et comme un modèle cohérent, et ce malgré tous les dérapages qui survinrent dans l’histoire au nom de cette particularité.
Ce sentiment atavique produit aujourd’hui deux faits sociaux, l’un légèrement dangereux, l’autre positif. Le danger réside dans l’attitude répandue que l’Etat doit secourir tout le monde, que personne n’est plus responsable de son sort. Un changement de gouvernement, avec la CDU et les libéraux aux commandes, ne changera rien. Cette attitude est coûteuse, voire ruineuse à la longue. Car de moins en moins d’Allemands travaillent, et ils travaillent toujours moins longtemps. Il est frappant, au contact des Allemands, de voir combien tout le monde est acquis à ces idées.
L’autre fait social découlant de la «Gemeinschaft» est l’union dans les choses importantes. Les syndicats donnent l’impression de tout dominer, ils sont dans les conseils d’administration des entreprises, ils demandent sans cesse des augmentations, et l’Etat fait figure de contrôleur sévère. Mais loin des écrans de la télévision, tout le monde s’arrange. Les syndicats locaux consentent au travail le samedi, souvent gratuit, les autorités s’engagent quand il s’agit de l’intérêt économique local ou national. Angela Merkel vient par exemple d’injecter des milliards d’euros dans la nouvelle Opel, séparée de General Motors.
Rien d’étonnant donc que l’Allemagne ne se soit pas encore sabordée. Elle produit beaucoup et elle fait ensuite passer les citoyens à la caisse. Cette stabilité irrite les autres. A l’intérieur d’Euroland, les Allemands submergent les pays latins, la France, l’Italie et l’Espagne de leurs exportations et leur font subir des déficits commerciaux importants. Sans compter, en conséquence, les pertes de postes de travail. Ces pays ne peuvent plus dévaluer leur monnaie comme les Britanniques qui sont restés en dehors de l’euro et qui ont coulé récemment leur livre sterling pour redevenir compétitifs.
Il est hilarant de lire les conseils, surtout de la part des Anglo-Saxons, pour aider l’Allemagne à sortir de la crise. Les Allemands, lit-on, doivent économiser moins et exporter moins. Ils doivent se lancer dans la consommation – un style de vie qui vient de ruiner les Britanniques et les Américains. Ceux-là oublient que leur modèle économique, toujours un peu frivole, n’a pas convaincu.
Ce qui en revanche est vrai dans les remontrances en provenance de l’étranger, c’est que les partis en campagne électorale ont caché les lendemains. Ces lendemains ne chantent pas. Il y aura tout de suite des licenciements massifs, retenus jusqu’ici, par exemple par Opel. Les banques allemandes jouissent de garanties étendues de l’Etat, elles distillent leurs avoirs toxiques dans des «banques mauvaises», séparées, et ceci aux valeurs de l’été 2008. Ceci revient d’une part à admettre qu’elles sont techniquement en faillite, et d’autre part que l’Etat passera encore à la caisse. Les impôts augmenteront.
En plus, Angela Merkel a suspendu la formule sacrée qui limite les rentes aux possibilités économiques et démographiques. Cela coûte déjà des milliards en plus, il faudra encore augmenter les impôts. Et ainsi de suite. Mais le «Gemeinschaftsgefühl» arrangera les choses et il y aura aussi peu de protestations, comme au début de la coalition Merkel, quand la chancelière a augmenté la TVA de 16 à 19% d’un seul coup. Heureux pays? On reste un peu songeur. L’Allemagne ne possède pas non plus un modèle précis, et tout peut encore lui arriver.