
Vos gestes pour la planete sous l’œil d'experts
Une cinquantaine de lecteurs ont partagé leurs actions pour le climat. Une liste commentée par deux spécialistes en durabilité. Objectif: identifier les bonnes idées pour agir à son échelle
- Florian Delafoi
- Cédric Garrofé
- Xavier Lissillour (Illustrations)
Les actions individuelles paraissent dérisoires face au dérèglement climatique. Sommes-nous impuissants? L’enjeu se révèle immense, au point de donner le vertige. Pourtant, les petits pas permettent à chacun de réduire son empreinte environnementale. Les conseils fleurissent dans les médias, les librairies ou sur les réseaux sociaux.
Le Temps a voulu faire sa part en récoltant des idées de lecteurs. Une cinquantaine de personnes ont rempli notre formulaire en ligne, dans lequel figurait cette seule question: «Quels gestes simples peut-on adopter au quotidien pour protéger la planète?» Parmi les propositions reçues, certaines relèvent du bon sens, quand d’autres méritent nuance.
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Deux spécialistes en durabilité ont accepté de commenter la ribambelle de gestes écologiques: Sophie Swaton et Denis Bochatay. La première est maître d’enseignement et de recherche à la Faculté des géosciences et de l’environnement de l’Université de Lausanne, le second est consultant en durabilité pour la société lausannoise Quantis. Ils ont fait un tri dans les idées pour identifier celles qui ont un poids dans la bataille contre le dérèglement climatique. L’exercice n’est évidemment pas exhaustif.
Chacun pourra piocher dans la liste, à sa guise. Nous avons sélectionné cinq domaines clés: la mobilité, l’alimentation, l’énergie, la gestion des déchets et l'habillement. On y trouve une pincée de fausses bonnes idées, comme l’achat d’un savon artisanal ou la confection de produits de nettoyage. «L’effet est au mieux marginal», prévient Denis Bochatay.
En commençant notre récolte, nous pensions seulement recevoir des astuces pratiques. Comme un écho aux manifestations pour le climat, plusieurs lecteurs ont également insisté sur l’importance de l’engagement. Informer son entourage, militer pour la cause écologique, voter, ces mesures ne doivent pas être négligées. «Il faut sensibiliser les gens avec bienveillance mais persévérance», affirme une participante.
- L’avion est devenu un oiseau de mauvais augure. De nombreux lecteurs indiquent avoir banni ce moyen de transport. Selon Denis Bochatay, cette décision radicale permet de réduire nettement l’empreinte carbone de chacun. Faut-il pour autant se priver? Philosophe de formation, Sophie Swaton n’appelle pas au boycott. «Prendre l’avion une fois par semaine pour faire la fête à Barcelone ou voyager une fois par an, c’est une question d’arbitrage et de bon sens.»
- La voiture a longtemps été un symbole de liberté. Désormais, son image est cabossée. Certains s’en débarrassent, quand d’autres limitent leurs trajets. Tout dépend du mode de propulsion, mais ce réflexe se révèle efficace. Et le covoiturage? «C’est une bonne idée si cela évite de prendre une voiture personnelle. Par contre, c’est une fausse bonne idée s’il existe des alternatives en transports publics», rappelle Denis Bochatay.
- La mobilité douce a la cote. «Je prends mon vélo pour tous mes déplacements en ville», indique une lectrice. Marcher ou enfourcher une bicyclette sont évidemment des solutions intéressantes. Mais l’intérêt n’est pas seulement écologique, souligne Sophie Swaton. «Ces activités permettent de s’aérer, de s’ouvrir sur des imaginaires. Il faut rendre les choses désirables. C’est le vrai défi de la transition écologique.»
- La pièce de bœuf saignante va-t-elle disparaître de nos assiettes? Les participants au sondage freinent leur consommation de protéines animales, voire y renoncent totalement. Leur action va dans la bonne direction: les produits carnés pèsent sur l’environnement, le bœuf en tête. «Il faut réfléchir à la quantité de viande, à la qualité des produits et vérifier leur provenance», indique Sophie Swaton. Faut-il en interdire la consommation? Plutôt non, «cela engendrerait de la frustration».
- Le bio s’impose sur les étals. C’est une orientation réjouissante pour la planète. Il y a toutefois un hic: les emballages plastiques restent grandement utilisés pour ces produits. Les consommateurs doivent par ailleurs respecter les saisons pour éviter la consommation d’énergie des serres chauffées, note Denis Bochatay. L’achat de produits locaux limite également l’importation de denrées, et donc des émissions liées au transport. Rappel utile: attention au gaspillage alimentaire.
- «Planter, planter, planter!» s’enthousiasme un lecteur. Comme lui, ils sont nombreux à mettre les mains dans la terre. «Oui, c’est une bonne idée pour autant que le jardinier opte pour un potager biologique et n’utilise pas de tourbe», prévient Denis Bochatay. La tourbe? Cette terre provient de marais asséchés, soit des zones protégées. Par ailleurs, les citadins ne doivent pas se décourager. «On peut faire pousser des plantes ou des herbes aromatiques sur un balcon», sourit Sophie Swaton.
- Le message infuse dans la société: il faut éteindre la lumière lorsqu’on sort d’une pièce et couper le radiateur dès que la température devient acceptable. «Baisser le chauffage de façon générale est une action prioritaire», confirme Denis Bochatay. Ce principe vaut aussi pour la consommation d’eau. «L’impact psychologique peut être élevé lorsqu’on ferme le robinet, estime Sophie Swaton. On a le sentiment de participer à un effort collectif.» Une bonne isolation du logement est par ailleurs décisive.
- Le numérique n’est pas sans conséquence: les lecteurs l’ont bien compris. L’un recharge ses appareils électroniques quand ses panneaux photovoltaïques produisent de l’électricité, l’autre limite le transfert et le stockage des images électroniques. Le fameux cloud repose sur un réseau de centres de données gourmands en énergie. C’est une bonne initiative, souvent oubliée par les internautes.
- Une proposition pour les amoureux de la série Friends: intégrer une colocation. Le partage d’un logement est une piste intéressante pour réduire la consommation d’énergie. Pourquoi ne pas cuisiner ensemble? Ou partager certains objets? Vivre à plusieurs peut également permettre de réduire la surface par personne, précise Denis Bochatay. Un moyen de limiter l’extension urbaine. Encore faut-il accepter ce mode de vie au quotidien.
- «Je me borne à n’acheter que le strict nécessaire.» Alors que l’achat compulsif reste une tendance forte, la majorité des lecteurs prônent un ralentissement de la consommation. Cette habitude permet de réduire la quantité de déchets produits. «Je ne fais pas de commentaires tellement c’est élémentaire, sourit Denis Bochatay. De façon plus générale, la sobriété ou la sélection de produits durables est toujours une bonne idée.» Une lectrice croit beaucoup en cette approche: «Cela amènerait peut-être à une remise en question du système de surconsommation dans lequel nous nous trouvons et qui fait que la planète est dans cet état.»
- Un certain nombre de détritus terminent leur course dans la rue ou la nature. Un participant conseille de ramasser les déchets dès que possible. Cette action basique a une efficacité redoutable à court terme. Denis Bochatay conseille également de renoncer aux pailles en plastique: «Ce produit peut facilement rouler ou s’envoler à notre insu et se retrouver dans le lac ou la mer.»
- Pour le bien de la planète, compostons! Cette méthode de gestion des déchets organiques a été adoptée par de nombreuses communes, comme Lausanne ou Genève. Les heureux propriétaires d’un jardin peuvent également installer un composteur. Ils devront toutefois bien se former afin d’éviter de produire du méthane, un puissant gaz à effet de serre.
- Selon les lecteurs, il ne faut plus céder aux sirènes de la mode. Les industries de l’habillement et de la chaussure représentent plus de 8% de l'impact climatique mondial, soit plus que les vols internationaux et voyages maritimes cumulés. La fast fashion, qui repose sur un renouvellement rapide et une production à bas coût, est pointée du doigt. Les deux spécialistes appellent à privilégier la qualité à la quantité.
- Et si on se tournait vers des marques labellisées? L’idée se révèle intéressante, mais il faut bien se renseigner sur les conditions de production des vêtements. Des marques jouent la carte de la transparence pour verdir leur image. Il s’agit alors d’une opération de greenwashing, sans réelle mesure en faveur de l’environnement.
- Un pantalon trop petit, une chemise qui ne plaît plus: certains vêtements finissent au fond d’un tiroir. Au lieu de jeter ces habits oubliés, certains participants proposent de les donner à des proches ou à une association. Les passionnés de mode peuvent également dénicher des pièces dans les friperies locales.
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Pour le bien de la planète, certaines personnes décident de fabriquer du savon ou des produits ménagers. L’intention est louable, mais l’efficacité de cette mesure n’est pas assurée. «L’effet est au mieux marginal. Ces alternatives peuvent être pires que des produits industriels bien conçus», signale Denis Bochatay.
- Les fumeurs peuvent-ils agir pour le climat? Un lecteur suggère d’arrêter la cigarette. Denis Bochatay ne balaye pas l’idée mais se méfie d’un potentiel effet de rebond: l’argent économisé grâce au sevrage ne doit pas être dépensé pour un produit nocif ou une activité polluante.
- «Ne pas faire d'enfants est la décision la plus forte», affirme un participant. Si l’idée fait polémique, son efficacité ne fait aucun doute, selon Denis Bochatay. «Mais on peut rétorquer qu’éduquer des enfants dans le respect de l’environnement est préférable, si cela fait boule de neige», ajoute-t-il. Sophie Swaton évoque une question taboue et tient à la préservation du droit fondamental à la reproduction.
- En décortiquant les actions proposées, Sophie Swaton a noté l’absence d’un levier intéressant: la manière de placer son argent. Elle cite notamment la Banque Alternative Suisse, qui soutient des projets écologiques. Autre piste: acheter des parts sociales dans des coopératives d’énergie. Ces structures participent au développement des énergies renouvelables comme les éoliennes.
Elles s'appellent Athénaïs, Céline, Clémence et Anaïs. Ces quatre lectrices ont accepté de venir à la rédaction du Temps pour parler de leur quotidien, de leurs inquiétudes face au dérèglement climatique et des gestes qu'elles adoptent pour agir à leur échelle.
Athénaïs est végétalienne. Changer son mode de vie a été un déclic: la Fribourgeoise a compris que ses actions pouvaient réduire son impact sur la planète. «J’achète végétal, de saison et bio. Je prépare aussi mes cosmétiques et produits d’entretien. J’ai pris l’avion une fois en cinq ans.» Une sensibilité écologique qui pourrait pousser la jeune femme à ne pas avoir d’enfants. «J’y pense de plus en plus.» Dans un monde qu’elle juge angoissant, la Fribourgeoise relève les bienfaits du militantisme. «Rejoindre des groupes prônant la désobéissance civile permet de rencontrer des personnes motivées à faire changer les choses, cela permet de garder espoir.» Une citoyenne engagée oui, mais qui souhaite rester empathique. «Si l’action est parfois nécessaire, il me paraît essentiel de rester ouvert au dialogue pour accompagner le changement en société.»
Céline réside à Morges avec son mari et ses deux enfants. C’est en assistant à une conférence de Béa Johnson, papesse du zéro déchet, que cette bibliothécaire a décidé d’agir pour la planète. «J’avais entendu parler de sa démarche. Quand elle affirmait réussir à faire tenir la poubelle annuelle de sa famille dans un bocal d’un quart de litre, je n’y croyais pas. L’écouter a été une révélation.» En adoptant la «règle des cinq R» (refuser, réduire, réutiliser, recycler, rendre à la terre), la famille produit désormais trois poubelles par an. Du moins sans les couches. «C’est une culpabilité, mais on peut toujours s’améliorer.» La trentenaire vise la sobriété heureuse qui consiste à vivre sur des valeurs plutôt que sur des objets. Et l’avenir, comment le voit-elle? «Une croissance infinie est impossible dans un monde où tout s’épuise. Le dérèglement climatique m’angoisse, j’ai parfois envie de hurler pour qu’on adopte un système plus résilient.»
Pour Anaïs, le déclic est survenu il y a deux ans, sur internet. «Je suis tombée sur une vidéo partagée par un chercheur en biologie marine. Il évoquait les incidences du réchauffement climatique sur le courant. Je faisais beaucoup de voile, cela m’a touchée.» La chercheuse zurichoise décide de se mobiliser. D’abord seule, puis en rejoignant le mouvement Extinction Rebellion. «L’engagement individuel peut devenir un piège car on a besoin d’un changement collectif. C’est pour ça que je fais la révolution, avec d’autres! Pour sauver la planète, il faut passer par des actions directes et une résistance non violente.» La jeune femme prévoit bientôt de changer de banque. «Je vais opter pour un établissement alternatif, pour être sûre que mon argent ne finance pas des projets contraires à ma philosophie.»
C’est en postulant au Swiss Arctic Project que Clémence, 22 ans, a décidé de changer ses habitudes. «Ce projet vise à étudier les effets du réchauffement climatique. Pour être sincère dans ma candidature, j’ai revu ma manière de consommer.» Devenue végétarienne, analysant tous ses achats sous l’angle de l'écologie, la jeune femme suscite l’intérêt de ses parents... qui ont décidé eux aussi de changer. «On discute beaucoup. Ils me soutiennent totalement, ils ont même fortement diminué leur consommation de viande!» Pour autant, tout n’est pas toujours simple pour Clémence, qui prépare un master en hautes études commerciales. «Je m’aperçois que tout le monde n’est pas prêt à changer. Dans ma filière c’est criant. Pourtant, on va arriver tôt ou tard à une certaine forme de décroissance et ça, personne ne l’anticipe. Quand cela va se produire, on risque de se casser la figure.»
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