«Hello everybody! How are you doing today?» Sur la scène, derrière son clavier, le musicien reçoit une ovation en présentant les membres du groupe. Dans la salle, ça rit, ça bavarde, ça applaudit. Une reprise des Jackson Brothers, un reggae, «Don’t be afraid to think, this is where freeedom begins», un raï fait maison, «Lettre à ma mère» – les spots clignotent, les chanteurs prennent de l’assurance, en anglais, en arabe, en norvégien, et même en français: c’est parti pour le concert de l’été. Un vidéaste filme, un apprenti reporter enregistre des interviews pour Radio Inside: on a peine à croire que la scène se passe dans une prison de haute sécurité, à une heure et demie au sud d’Oslo, à Halden,la prison qui ressemble à un hôtel.

«La condamnation à perpétuité n’existe pas en Norvège, donc tous ces détenus seront un jour nos ­voisins. Il faut donc bien préparer leur réinsertion, la prison appartient à la communauté. Les détenus restent des êtres humains, on les prive de liberté, mais pas de leurs droits»: depuis bientôt trois ans qu’il dirige une des dernières-nées des prisons norvégiennes, Are Hoidal est habitué aux questions et remarques étonnées d’uni­versitaires, de gouvernements étrangers et de journa­listes venus étudier le «modèle pénitentiaire norvégien». Il a même été invité aux Etats-Unis pour présenter «sa» prison. Dont il reconnaît bien volontiers, lui qui a dirigé pendant vingt ans les vieux bâtiments d’Oslo datant de 1850, qu’elle est exceptionnelle, et qu’elle marque une étape: «On ne construit pas une prison moderne comme une prison du passé.» Certes.

Les bâtiments, dessinés par le studio Erik Moller, sont nets, lu­mineux, avec une architecture et une répartition de l’espace minutieusement pensée pour être «efficace». A Halden, les cellules, individuelles mesurent 12 m2, ont une vue sur la forêt, omniprésente, et comprennent une douche, des toilettes, un frigidaire, un bureau et une télévision à écran plat. Chaque détenu fait partie d’une unité de dix personnes, mêlant prévenus et condamnés, qui dispose d’une cuisine, d’une salle de télévision et d’une aire de jeux de société, le tout sous le regard attentif d’un surveillant, dont la fenêtre d’observation donne directement sur la salle commune.

Il existe une unité spéciale pour les prisonniers avec famille, composée d’un salon, d’une cuisine et de deux chambres, pour les parents et pour les enfants. Le ma­gasin pour cantiner est bien fourni, avec des prix comparables à «dehors», ce qui est loin d’être toujours le cas dans les prisons. La bibliothèque compte 5000 livres en 20 langues, et 1200 DVD. Il y a des ateliers de peinture, de sculpture, de cuisine, de musique, et des œuvres d’art sur les murs. Et les enseignants, souvent venus de l’extérieur, parlent d’«élèves», non de détenus.

«Oui, les conditions sont bonnes mais, à la base, on n’est pas libre. Et encore, moi j’ai ma famille, une maison, mais c’est rare. Les autres sont tout seuls.» Glenn «Angel» a 42 ans, et on comprend à l’entendre qu’il a une certaine habitude des prisons. Lui a demandé à être transféré à Halden pour passer un master d’économie. Il apprécie de pouvoir travailler sur un ordinateur, qui dispose d’un accès très restreint et contrôlé à Internet. «On est dans la nature, mais c’est quand même une prison, on ne peut pas dire ce qu’on veut, il y a un mur psychologique avec les gardiens; la sécurité passe en premier, c’est normal pour eux», complète Berhane.

Les bonnes conditions de détention n’y changent rien: le premier droit d’une personne, c’est d’aller et venir… Mais les règles sont bien comprises, et il n’y a pas de problème majeur de sécurité, selon la direction: les seules fois où le médecin a déclenché son bip d’alerte, c’était par erreur…

Les détenus font tous du sport, dans des gymnases et des terrains extérieurs très bien équipés, entraînés par des coaches – «mais il n’y a pas de poids, on ne veut pas de Monsieur Muscle ici, c’est pas bon pour la réhabilitation. On préfère les sports d’équipe», précise Are Hoidal. Les promenades et les joggings se font parmi les arbres, la prison occupe 30 hectares à l’intérieur de hauts murs munis de nombreuses caméras.

Enfin et surtout, les détenus sont occupés toute la journée, «c’est primordial»: certains étudient pour passer des diplômes, avec un vrai professeur, les autres travaillent: là aussi, il s’agit de préparer l’avenir. Un service de reclassement s’occupe de mettre en contact les employeurs potentiels et les détenus à leur sortie (la Norvège manque de bras). Alors ici, dans l’atelier menuiserie, on s’affaire pour construire les étagères et bureaux des policiers d’Oslo. Là, on repeint des voitures, on change leurs pneus. Plus loin, on fabrique des tuyaux, et quantité d’autres ­articles.

Ces activités, comme dans toutes les prisons du monde, sont ­rétribuées par une somme très modique: quelques dizaines de couronnes par jour, soit moins de 15 francs. Mais de quoi éco­nomiser un pécule pour le jour de la sortie, ou pour envoyer aux familles à l’étranger: 45% des détenus ne sont pas Norvégiens, beaucoup sont des trafiquants qui ont été arrêtés à la frontière avec la Suède en tentant de passer de la drogue.

Et c’est l’une des questions qui se posent à la Norvège aujour­d’hui. Car une prison comme Halden coûte une fortune: on compte 1,15 prisonnier par membre du personnel de garde, administratif ou éducatif, un ratio exceptionnellement bas. Même si, selon de premières études, le taux de récidive à deux ans semble bien plus bas qu’ailleurs (il serait de 20% à deux ans, mais les comparaisons internationales ne sont pas faciles, les catégories n’étant pas les mêmes), une place de détenu revient tout de même à l’équivalent de 160 000 francs par an (à Champ-Dollon, à Genève, il y a quelques années, ce coût était estimé à en­viron 125 000 francs). Et si un ­consensus existe pour les détenus norvégiens, la question est plus complexe pour ceux des prisonniers étrangers qui devront repartir dans leur pays une fois leur peine purgée. Aujourd’hui, les 250 détenus de Halden viennent de 42 pays différents (il y a même un résident suisse). Faut-il leur consacrer autant d’argent?

Per habite la ville de Halden, à 15 minutes en voiture de la prison, et fait partie de ces habitants qui ont tenu à visiter l’établissement lorsqu’il a ouvert ses portes au public, avant de les refermer défini­tivement. Sa voisine travaille à la prison, qu’il connaît bien. «C’est peut-être un peu exagéré», hasarde-t-il.

C’est parce que la question est sensible (les détenus étrangers représentent 35% des prisonniers en Norvège) que le gouvernement de coalition a ouvert en décembre 2012 sa première prison réservée aux non-nationaux, à Kongsvinger, au nord d’Oslo. «C’est un test, nous verrons d’ici à deux ans si cela fonctionne. Ce n’est pas une prison de 2e catégorie», affirme la secrétaire d’Etat Kersten Bergersen, «simplement, il est inutile de donner des cours de norvégien à des personnes qui ont vocation à partir.» A Kongsvinger, on trouve donc plus d’interprètes, d’autres chaînes de télévision, d’autres formations. Mais les détenus ne sont pas moins bien traités: «En Norvège, le principe n’est pas celui de la vengeance.» Halden n’est pas une prison ordinaire, rappelle-t-elle; pour elle, le vrai modèle norvégien, c’est une philosophie plutôt qu’un lieu: se focaliser sur la sortie dès le premier jour de détention, en favorisant un circuit vertueux: de la prison haute sécurité à la prison basse sécurité, puis à la prison ouverte et au bracelet électronique, qui permet de reprendre un emploi et de vivre chez soi normalement.

Cinq mille personnes dans le pays portent aujourd’hui un dispositif de surveillance électronique. L’avenir est là, pour Kersten Bergersen: le taux de récidive des personnes surveillées électroniquement pendant la fin de leur peine tomberait à 5% selon les études les plus récentes.

Ici, une place de détenu revient à l’équivalent de 160 000 francs par an. Le consensus existe pour les détenus norvégiens, mais la question est plus complexe pour ceux des prisonniers étrangers qui devront repartir dans leur pays une fois leur peine purgée