Ulrich Thielemann est Allemand, vice-directeur depuis 2001 de l’Institut pour l’éthique de l’économie à l’Université de Saint-Gall, et il pourrait perdre son poste pour ses déclarations critiques sur le secret bancaire en Suisse. Invité comme expert par le groupe des Verts devant la délégation des finances du parlement allemand (Bundestag), Ulrich Thielemann s’est exprimé il y a dix jours à Berlin sur le thème de l’évasion fiscale, aux côtés notamment de Hans Roth, directeur de l’Association suisse des banquiers.
Cité une première fois par le Tages-Anzeiger, Ulrich Thielemann aurait déclaré: «Les Suisses n’ont aucun sentiment de commettre une injustice. Les arguments les plus fantaisistes circulent pour justifier le secret bancaire.» Citation un peu raccourcie, le professeur allemand recevant l’occasion de préciser ses propos dans une interview un jour plus tard. «Ma nationalité ne joue aucun rôle. Je suis simplement de l’avis que chacun devrait payer ses impôts là où il habite. Le principe du domicile est au cœur de la discussion sur le secret bancaire et les oasis fiscales. Et là, il semble que les banques suisses et les politiciens n’ont pas encore compris. Il leur manque, comme je l’ai dit devant le parlement allemand, le sentiment de commettre une injustice.»
Des précisions qui ne suffisent pas à calmer une partie de l’opinion alémanique, toujours sous le coup des accusations du ministre allemand des Finances, Peer Steinbrück. Le rédacteur en chef de l’hebdomadaire Sonntag s’indigne qu’«un professeur allemand payé par une université suisse se permette de noircir notre pays». Ancien professeur à Saint-Gall, l’ex-conseiller national Franz Jaeger réclame la mise à pied de l’éthicien félon.
Le recteur de l’Université de Saint-Gall, Ernst Mohr, lui aussi un Allemand, sort l’artillerie lourde. Dans une interview parue lundi dans le Sankt-Galler Tagblatt , il reproche à Ulrich Thielemann de nuire à l’image de l’alma mater saint-galloise. «J’ai de la peine, dans cette situation, à protéger mon professeur. Son passage devant le parlement à Berlin est une faute grossière. Même si un scientifique doit pouvoir s’exprimer librement, il doit aussi garder le sens des proportions et faire preuve de tact. Les relations entre l’Allemagne et la Suisse sont en ce moment tendues. Dans cette situation, il est hautement naïf pour un Allemand, employé par une université suisse, de croire que des arguments éthiques contribuent à calmer le débat.»
Ernst Mohr n’exclut pas le renvoi du vice-directeur de l’Institut pour l’éthique de l’économie. «Chaque employé de l’université peut être licencié», répond-il au Sankt-Galler Tagblatt. La direction de l’université ne veut plus s’exprimer publiquement à ce sujet. Elle promet un communiqué de presse pour jeudi. Elle attend de recevoir le procès-verbal détaillé de la fameuse séance à Berlin avant d’informer sur d’éventuelles sanctions. Entre-temps, Ulrich Thielemann observe également le silence.
La réaction du recteur a surpris dans le monde académique. A Saint-Gall même, les langues ne se délient que sous le couvert de l’anonymat. «La position du recteur nuit davantage à l’image de l’université que les propos de Thielemann», dit un professeur dans le Sankt-Galler Tagblatt. Dans d’autres universités, des professeurs, tels René Rhinow à Bâle ou Thomas Fleiner à Fribourg, s’en prennent ouvertement au recteur.
Le fou du roi
La page d’Ulrich Thielemann, sur le site officiel de l’université, ne laisse pourtant planer aucun doute sur ses positions. Son doctorat se concentre sur une thèse: le marché élevé au rang de principe ne conduit qu’à une «éthique» du droit du plus fort. Le chercheur annonce pour l’automne un nouvel ouvrage dans lequel il va démontrer les dysfonctionnements du marché dit libre. L’Institut pour l’éthique de l’économie est l’un des quarante instituts de l’université. Les mauvaises langues disent qu’il joue le rôle de fou du roi dans la formation des futures élites économiques.