«A la fin du défilé Tillouche en 1989, tout le monde pleurait»
Il l’est l’âme et la mémoire du festival. Entretien avec son fondateur, Jean-Pierre Blanc, le magicien d’Hyères
Samedi Culturel: Comment l’idée de ce festival de mode loin de tout vous est-elle venue?
Jean-Pierre Blanc: C’est difficile à dire: il s’agit de souvenirs et je ne veux pas les dénaturer. Ce que je sais, c’est que j’ai fait ce festival pour cette ville que j’aime. J’y suis né. A l’époque, il y avait un festival de cinéma avec lequel j’ai grandi. Il y avait une belle énergie dans la fin des années 1980, avec Jacques Lang au Ministère de la culture. J’étais dans cet état d’esprit. Un peu Robin des Bois. Je voulais faciliter les rencontres, je voulais ouvrir la mode à un public plus large, moins élitiste.
Vous avez versé quelqueslarmes lors de l’inauguration. L’effet des 30 ans?
Ne m’en parlez pas car je vais recommencer. En fait, ce que personne n’imagine, c’est la difficulté d’organiser ce festival! Et de me rendre compte hier qu’après avoir traversé toutes les difficultés de ces derniers mois, le moment était arrivé, cela m’a submergé. J’ai vraiment cru que je maîtrisais mon discours, mais quand j’ai aperçu dans la foule des personnes qui m’avaient aidé à organiser la manifestation à ses débuts, j’ai déraillé sur une émotion que je n’arrivais plus à contrôler. Or il me restait encore des choses à dire sur l’aide véritable que le Ministère de la culture nous avait accordée cette année.
Vous n’avez pas souvent reçu la visite de ministres de la Culture.
Il y en a eu deux: Jean-Jacques Aillagon pour les 20 ans et Fleur Pellerin pour les 30 ans.
Et la présence de Chanel comme soutien pour trois ans, on suppose que cela aide aussi?
Chanel, ça change tout! Je suis assez mauvais avec l’argent. Je n’aime pas en parler: au lieu de demander 500 000 euros, j’en demande 50 000. C’est un festival international, or on le réalise avec un budget de moins d’un million d’euros. Je ne tire aucune gloriole de faire les choses avec des bouts de ficelle, mais au bout d’un moment il faut dire que ce festival, pour qu’il existe, il lui faut tel budget. On a trop longtemps minimisé les choses. Il serait plus simple de dire: on a besoin de deux millions et arrêter de galérer.
Sur quels critères vous êtes-vous basés pour faire les choix des dossiers?
Pendant les sélections, on ne voit pas les candidats, donc on ne peut pas se baser sur leur discours. On voit le dossier, un vêtement sur les sept finaux et les fiches techniques. C’était un bon jury qui a fait des sélections véritables et sincères. Virginie Viard est une personnalité forte qui sait faire de vrais choix.
Quels sont vos souvenirsles plus forts?
C’est difficile à résumer sur trente ans! J’ai des flashes. Par exemple, je le cite souvent, le défilé de Sami Tillouche en 1989 où tout le monde pleurait à la fin parce que c’était merveilleux, le défilé de Billie Mertens en 1992 aussi est inoubliable, le défilé de John Galliano en 1991 alors qu’il n’était pas encore connu. Il avait fait un petit défilé à Paris avec ses amies mannequins qui ne s’étaient pas fait payer – un triomphe – et trois mois après il acceptait de venir ici alors que l’on n’était rien! L’année d’après, il y avait Martin Margiela, Helmut Lang, Jean Colonna, Martine Sitbon, Jean Touitou, dans le même jury! Je ne m’en suis pas rendu compte sur le moment, mais c’était complètement dingue! Et Martin Margiela s’est laissé prendre en photo tout le week-end alors qu’il ne s’était jamais laissé photographier! Que dire? La rencontre avec Azzedine Alaïa, avec Christian Lacroix, avec Karl Lagerfeld, Raf Simons… Ce ne sont que des jolis moments.