L’offensive contre la burqa

Islam Le Grand Conseil argovien veut interdire le port du voile intégral dans l’espace public suisse. Une décision applaudie par la droite et les musulmans progressistes

L’opposition au niqab et à la burqa grandit en Suisse. Après le député libéral-radical argovien Philipp Müller, qui a réclamé dans le journal Sonntag une interdiction du port du voile intégral dans l’espace public suisse, le Grand Conseil argovien a adopté, à 89 voix contre 33, une motion des ­Démocrates suisses allant dans le même sens. La motion a été soutenue par l’ensemble des partis de droite, et refusée par les socialistes et les Verts. Une commission du Grand Conseil doit maintenant préparer un texte d’initiative cantonale qui, s’il est accepté par le parlement, sera déposé auprès des Chambres fédérales.

Selon le texte de la motion, élaboré par le Démocrate suisse René Kunz, «la dissimulation de la totalité du corps de la femme n’a pas de signification religieuse, mais il s’agit d’un signe extérieur signifiant l’humiliation, la discrimination et la perte d’identité des personnes concernées». La motion souligne également que la femme intégralement voilée «n’a pas de visage» et qu’elle «vit dans une prison». Le voile intégral doit être vu, d’après le texte, comme un «symbole de pouvoir, à savoir la domination de l’homme sur la femme». Il n’est pas compatible avec «nos traditions locales» et pose des problèmes concrets, par exemple en cas de contrôles de circulation routière ou aux frontières. «Une interdiction nationale de la burqa n’enfreint ni la liberté religieuse, ni le principe de non-discrimination», affirme le texte.

Cette motion représente la première initiative politique qui demande officiellement l’interdiction du voile intégral dans la totalité de l’espace public helvétique. Le président du PDC, Christophe Darbellay, qui a déposé deux interpellations parlementaires concernant la burqa en 2006 et en 2009, approuve entièrement la décision du Grand Conseil argovien. «Elle confirme que l’opinion publique évolue et qu’une prise de conscience a lieu. Une politique d’intégration crédible doit aussi comporter des limites claires.»

La réponse que le Conseil fédéral avait donnée le 24 février dernier à sa seconde interpellation avait déçu le président du PDC. Le Conseil fédéral reconnaissait que le fait de masquer totalement le visage pouvait constituer un obstacle à l’intégration, mais constatait cependant que le voile intégral était de nature à faciliter l’accès à l’espace public de femmes qui, sans lui, ne sortiraient pas de leur domicile. Evaluant le nombre de personnes portant le niqab ou la burqa à une centaine, il concluait qu’il n’y avait pas de raisons de prendre des mesures à l’heure actuelle.

C’est aussi l’avis de Farhad Afshar, président de la Coordination des organisations islamiques suisses. «Le port de la burqa concerne une très petite minorité de femmes. Si une interdiction était votée, cela augmenterait les tensions entre les communautés islamiques et le reste de la société. Le Conseil fédéral n’a pas à intervenir dans les affaires religieuses. La Constitution ne dit d’ailleurs rien sur la manière de se vêtir. Et c’est aux personnes impliquées dans une religion de décider comment elles veulent s’habiller.»

Un argument que rejette Saïda Keller-Messahli, présidente du Forum pour un islam progressiste. Partisane d’une interdiction de la burqa, elle se dit satisfaite de la décision du Grand Conseil argovien. Elle estime en effet que la burqa «n’a rien à voir avec la religion. Nulle part dans le Coran il n’est dit que la femme doit se voiler ainsi. C’est certes un problème marginal en Suisse, mais il faut être attentif au message que donne la burqa. Porter le voile intégral, cela signifie: «Je ne veux pas communiquer avec vous.» C’est un signe d’auto-exclusion.»

Prévenant les oppositions que soulèvera une attaque frontale contre la burqa, le conseiller national UDC Oskar Freysinger privilégie le pragmatisme. Dans une motion déposée le 17 mars dernier, qui a obtenu le soutien de 20 députés, il demande au Conseil fédéral de rajouter un article à la loi fédérale instituant des mesures visant au maintien de la sûreté intérieure. Cet article prévoit l’interdiction de la dissimulation du visage dans trois cas: lorsqu’une personne s’adresse à une autorité fédérale, cantonale ou communale; lors de l’utilisation des transports publics; lors de la participation à une manifestation sur le domaine public. «Une interdiction totale du voile intégral est difficile à appliquer, dit Oskar Freysinger. Il suffit de penser aux touristes saoudiennes qui viennent en Suisse en été. Ma motion établit des conditions minimales pour améliorer le vivre-ensemble.»

Quant à la gauche, elle s’en tient pour le moment à l’argumentation du Conseil fédéral. Le député vert Antonio Hodgers prévient toutefois que «si le phénomène du voile intégral devait prendre de l’ampleur, il serait peut-être opportun de se montrer plus sévère».