Robert Mercer est très discret. Discret mais influent. Lors d’une de ses rares apparitions publiques, lui qui rejette les sollicitations des médias et fuit les photographes, il avait déclaré: «Je n’ai pas pour habitude de parler de moi. […] Je pensais que je devais préparer un discours d’une heure, ce qui, en passant, est davantage que ce que j’ai pour habitude de parler en un mois». C’était en juin 2014, à l’occasion d’une remise de prix de l’Association for Computational Linguistics. Inapprochable ou presque, ce milliardaire de 70 ans, mystérieux et secret, qui forme un tandem de choc avec sa fille Rebekah, a pourtant joué un rôle-clé dans l’élection de Donald Trump à la tête des Etats-Unis. En tirant de précieuses ficelles.

La finance dans le sang

Ce mathématicien new-yorkais a débuté sa carrière chez IBM, où il a notamment développé un programme de reconnaissance vocale. Il a ensuite fait fortune en co-dirigeant Renaissance Technologies, «un des hedge funds les plus performants et lucratifs de l’histoire», selon Sebastian Mallaby, auteur du livre «More Money Than God». Grâce, notamment, au fonds Medallion, qui représente 5 milliards de dollars sous gestion.

Ultra-conservateur et climatosceptique convaincu, l’homme semble s’être donné pour mission de remodeler le Parti républicain, en consolidant son aile la plus à droite, sensible aux discours populistes et anti-establishement. Sa fille Rebekah, 43 ans, poursuit le même but. Trader à Wall Street, elle a aussi géré une boulangerie à Manhattan spécialisée dans les brownies et cookies, «Ruby et Violette», devenue une entreprise online. Epouse d’un banquier français et mère de quatre enfants, elle aide aujourd’hui son père à étendre leur influence à travers des think tanks et médias conservateurs qui épousent leurs thèses.

D’abord soutiens actifs du candidat à la présidentielle texan Ted Cruz, un proche du Tea Party – ils auraient injecté treize millions de dollars dans un de ses groupes de soutien –, les Mercer ont ensuite, dès le printemps 2016, appuyé Donald Trump et contribué à sa victoire. En janvier 2016 déjà, Bloomberg qualifiait Robert Mercer de «principal donateur individuel» de l’élection présidentielle. Depuis 2006, il aurait ainsi consacré plus de 34 millions de dollars à des campagnes et le Washington Post le classe, en 2015, parmi les «dix milliardaires les plus influents en politique». Pour la petite histoire, Jim Simon, le fondateur de Renaissance Technologies, était lui l’un des soutiens financiers les plus importants de la démocrate Hillary Clinton.

Le big data au service de Trump

Pour appuyer Donald Trump, les Mercer ont agi sur plusieurs fronts. Robert Mercer et sa fille Rebekah ont contribué à la sortie du livre «Clinton Cash» de Peter Schweizer, censé affaiblir la candidate Hillary Clinton. Un film a ensuite vu le jour.

Mais surtout, les Mercer sont les principaux investisseurs de Cambridge Analytica, une entreprise de big data qui a mis sur pied un redoutable système de «modèles psychographiques», capable de cibler et orienter les votants, grâce à des messages qui leur sont directement adressés. La machine qui a fait gagner Trump, osent dire certains. Alexander Nix, CEO de 41 ans, s’en était lui-même félicité dans un communiqué divulgué le lendemain de la victoire de Donald Trump. La boîte, qui avait commencé par travailler pour Ted Cruz, refuse de parler de ses soutiens financiers.

Cambridge Analytica dresse le profil d’internautes et scanne toutes les données permettant d’influencer leur prise de décision. Elle se base notamment sur le modèle «Ocean», acronyme pour «ouverture, conscience, extraversion, agréabilité et névrose». L’équipe digitale de Donald Trump et les collaborateurs de Cambridge Analytica ont commencé à croire en la future victoire de Trump quelques semaines avant le jour J, lorsqu’ils ont constaté que le taux de participation des Noirs baissait et que celui des plus de 55 ans augmentait. C’est cette même entreprise qui a travaillé pour Nigel Farage, ex-leader de l’Ukip (United Kingdom Independence Party), dans le cadre de la campagne du Brexit, comme le rappelle une enquête de Das Magazin.

Le soutien à Breitbart News

Autre signe de l’influence de la famille: Rebekah Mercer a fait partie de l’équipe de transition de Donald Trump chargée de former son cabinet. Elle y est pour beaucoup, glissent des observateurs qui préfèrent rester discrets, dans la nomination de plusieurs conservateurs dans l’équipe de Trump, dont Stephen Bannon, comme conseiller stratégique, et Kellyanne Conway, devenue sa conseillère personnelle. Les deux sont des amis de la famille.

Les Mercer ont notamment investi dans la plateforme Breitbart News – 10 millions de dollars, selon plusieurs médias américains –, dirigée par Stephen Bannon jusqu’à ce qu’il rejoigne l’équipe de Trump. Un site de propagande, plateforme de l'«Alt right», qui véhicule des thèses extrémistes, suprémacistes et complotistes. Et qui a connu un succès spectaculaire en passant de 8 millions de visiteurs en 2014 à 85 millions de visiteurs uniques en octobre 2016.

Stephen Bannon a par ailleurs fait partie du conseil de direction de Cambridge Analytica. Et c’est lui qui a sorti le film «Clinton Cash», inspiré du livre de Peter Schweizer, avec l’aide de Rebekah Mercer. Kellyanne Conway? Rebekah Mercer a travaillé avec elle, dans le cadre de la campagne de Ted Cruz.

Une fille puissante et féroce

On retrouve aujourd’hui Rebekah Mercer, tout aussi discrète que son père – aucun des deux n’a répondu à nos sollicitations –, à la tête de la Mercer Family Foundation. Elle siège aussi dans le conseil d’administration de la Heritage Foundation, un think tank conservateur de Washington, qui a notamment alimenté le Tea Party sous la présidence de Jim DeMint, ex-sénateur de Caroline du Sud. La famille y a investi des sommes importantes, comme dans d’autres think tanks conservateurs et libertariens, parmi lesquels le Cato Institute, Reclaim New York ou encore le Media Research Center. Même ceux qui ont fréquenté les Mercer préfèrent se taire: la dynamique Rebekah serait féroce envers ceux qui s’expriment publiquement au sujet de la famille. Même si c’est pour en dire du bien.

Rebekah Mercer, la «femme la plus puissante au sein des républicains» n’hésite pas à écrire Politico, a deux soeurs, mais elle est la seule des trois à travailler aussi étroitement avec leur père. Père et fille, animés par une même mission, ne font que très rarement état, sur la place publique, de leurs orientations politiques. Mais dans une prise de position écrite envoyée au Washington Post le 8 octobre, les Mercer font exception et affichent clairement leur soutien à Trump. C’était juste après la polémique déclenchée par la divulgation d’un enregistrement audio dans lequel Donald Trump tenait des propos obscènes à l’égard des femmes.

Robert Mercer et sa fille viennent à sa rescousse, en des termes très directs: «L’Amérique en a ras-le-bol et est dégoutée par son élite politique. Trump est en train de canaliser ce dégoût et ceux qui parmi l’élite politique tremblent devant l’enregistrement brandi par des médias qui racontent des bêtises ne se rendent pas compte du choix apocalyptique auquel l’Amérique fait face. Nous avons un pays à sauver et il n’y a qu’une seule personne qui peut le sauver». Ils précisent aussi qu’ils lui auraient par contre probablement retiré leur soutien «s’il avait déclaré qu’il était pour des frontières ouvertes, le commerce ouvert et qu’il envisageait d’intervenir dans le contrôle des armes».

Un rôle à venir encore flou

Quels rôles jouent aujourd’hui les Mercer, alors que de premières fissures apparaissent au sein de la garde rapprochée de Donald Trump? Politico évoquait le mois dernier des tensions entre Rebekah Mercer et des proches du président, qui mettraient à mal la création d’un nouveau groupe politique de soutien. Ces tensions ne sont pas sans rappeler celles qui ont conduit à la démission, lundi soir, du conseiller à la sécurité nationale, Michael Flynn et provoqué un séisme politique, sur fond de relations troubles avec Moscou.

Robert Mercer préfère laisser ces intrigues et luttes de pouvoir à sa fille, plus active sur le front politique. N’avait-il pas déclaré en 2010 au Wall Street Journal préférer la compagnie des chats aux humains? Grand joueur de poker et passionné de trains électriques, on sait aussi de lui qu’il possède l’une des collections de fusils-mitraillettes les plus importantes du pays. Il est également propriétaire d’un extravagant manoir, «The Owl’s Nest», dans le village de Head of the Harbor (Long Island, New York), où il organise, chaque année depuis 2009, en décembre, des bals masqués thématiques. Le 3 décembre dernier, Donald Trump y avait participé. Le thème? «Vilains and Heroes».


Les frères Koch, l’autre binôme de milliardaires

Soutiens actifs du Tea Party en 2010, Charles et David Koch auraient renoncé à injecter de l’argent dans la campagne de Donald Trump. Mais le frère aîné était bien à sa réception le jour de son élection

Mise à part les Mercer, d’autres donateurs fortunés soutiennent financièrement la radicalisation de la droite américaine. C’est le cas, par exemple, des frères Koch, des magnats du pétrole. Tout aussi discrets, ceux-ci tissent une puissante toile pour influencer la scène politique, en infiltrant et finançant des organismes conservateurs. Selon Forbes, leur fortune avoisinerait les 83 milliards de dollars.

Réseau de donateurs tout-puissant

Leur réseau de donateurs, le «Kochtopus» comme se plaisent à l’appeler leurs détracteurs, se révèle tout-puissant. Les Mercer en faisaient d’ailleurs partie, dès 2011, avant, trois ans plus tard, de faire sécession et d’étendre leurs propres tentacules pour mieux exercer leur influence.

Charles et David Koch, 81 et 76 ans, détiennent 84% du capital de Koch Industries, un conglomérat de sociétés actives dans le pétrole, le charbon, la chimie ou le textile. Soit la deuxième entreprise américaine non cotée en bourse, avec 115 milliards de dollars de chiffres d’affaires. Climatosceptiques, libertariens convaincus, ils luttent pour réduire l’importance de l’Etat et les dépenses publiques, et se sont montrés très actifs pour tenter de saboter la réforme de la santé de Barack Obama, l’Obamacare.

Principal soutien du Tea Party en 2010

Selon leur biographe Daniel Schulman, les frères Koch ont été le principal «moteur financier» de la révolte du Tea Party en 2010. Selon le Center for Responsive Politics, ils orchestrent une coalition de 17 groupements conservateurs qui ont injecté plus de 400 millions de dollars dans la campagne présidentielle et les élections au Congrès de 2012. Pour celles de 2016, un groupe associé aux Koch a annoncé la levée de 889 millions de dollars. Mais, surprise, les deux frères, que l’on dit proches de Mike Pence, ont publiquement fait savoir qu’ils ne soutenaient pas Donald Trump. Le doute est permis: Charles Koch était présent à la fête de Donald Trump le jour de son élection. Ce même Charles Koch avait déclaré en juillet 2016 que choisir entre Donald Trump et Hillary Clinton revenait à devoir voter «entre un cancer ou une crise cardiaque».