Une chose a changé depuis la dernière fois que Derek Chauvin est apparu devant le tribunal de Minneapolis (Minnesota): Darnella Frazier, 18 ans, a reçu un Prix Pulitzer spécial. C’est elle qui a filmé l’arrestation et le meurtre de l’Afro-Américain George Floyd, le 25 mai 2020. Elle qui, grâce à son réflexe et à la publication de sa vidéo sur les réseaux sociaux, a provoqué une onde de choc et une vague d’émotion et de colère dépassant largement les Etats-Unis. Désormais, l’ex-policier blanc qui a maintenu son genou sur le cou de George Floyd pendant de longues minutes jusqu’à ce que mort s’ensuive est fixé sur son sort: il écope de 22 ans et demi de prison. Un verdict que le président Joe Biden a qualifié de «juste». La famille de George Floyd avait demandé la peine maximale, soit 40 ans.

Lire aussi: Affaire Floyd: ce qui frappe dans le procès de Derek Chauvin

Tentative d’annulation

Le verdict a été prononcé vendredi en début d'après-midi, heure de Minneapolis. Avec dès les premières secondes de l'audience, le témoignage, filmé, de la jeune fille de George Floyd, Gianna, 7 ans, puis d'autres membres de sa famille, brisés par l'émotion. Le meurtrier n’a pas pipé mot. ll a en revanche semblé ému quand sa mère a pris la parole, en lui assurant qu'elle a toujours cru en son innocence. «Derek est un homme tranquille, réfléchi, honorable et désintéressé», a-t-elle déclaré. Puis, Derek Chauvin s'est exprimé pendant quelques secondes, debout, en enlevant son masque, pour présenter ses condoléances à la famille Floyd, sans excuses ni regrets. Avec cette curieuse phrase: «Il y aura à l'avenir de nouvelles informations, que j'espère intéressantes et qui vous apporterons de la tranquillité d'esprit». C'est la toute première fois dans le procès qu'il a pris la parole. 

Le juge Peter Cahill a énoncé sa sentence en soulignant «reconnaître la peine profonde et énorme endurée par la famille Floyd». Mais il a assuré ne pas avoir fondé sa décision sur «l'émotion ou la sympathie» déclenchées par l'affaire, ni cherché à faire passer un message. 

Derek Chauvin, 45 ans, a été reconnu coupable du meurtre de George Floyd le 20 avril, après un procès de six semaines, où les images de son agonie ont été montrées de nombreuses fois. Mais il n’a jamais accepté sa culpabilité. Le 4 mai, il a demandé l’annulation du verdict et la tenue d’un nouveau procès, en accusant le jury de «comportements inappropriés» et remettant en cause son impartialité. Une allusion notamment au fait qu’un des 12 jurés a été vu dans une manifestation antiraciste, avec un t-shirt de Black Lives Matter et le slogan «Enlevez vos genoux de nos cous». Mais la requête déposée par les avocats de Chauvin a rapidement été balayée. «Non. Non. Non. Coupable. Coupable. Coupable», avait tweeté Ben Crump, l’avocat de la famille Floyd. Vendredi, la défense de Chauvin a maintenu le cap et une nouvelle fois demandé l’annulation du verdict. De nouveau, le juge l'a rejetée. 

«En présence de mineurs»

Derek Chauvin, qui durant son procès prenait frénétiquement des notes dans un petit carnet jaune en affichant toujours un regard anxieux et sans jamais prendre la parole, a par le passé été critiqué par ses collègues en raison d’autres interpellations brutales. Il a fait l’objet de 22 plaintes et enquêtes internes. L’énoncé de la peine était très attendu. Aux Etats-Unis, les policiers accusés de brutalités font rarement l’objet de procès. Et quand ils le font, ils s’en sortent généralement plutôt bien. Cette fois, les images ont été déterminantes.

En amont de l’énoncé de la sentence, le juge Peter Cahill a rappelé les quatre circonstances aggravantes contre Derek Chauvin: il a «abusé de sa position de confiance et d’autorité», «traité George Floyd avec une grande cruauté», «agi en présence de mineurs» et a commis son crime «en réunion». Ses trois collègues présents le jour du drame seront jugés en mars 2022 pour «complicité de meurtre» par la justice du Minnesota. Les quatre devront par ailleurs également faire face à la justice fédérale, inculpés pour «violation des droits constitutionnels» de George Floyd.

Mur bleu du silence fissuré

Un an après la mort de George Floyd, Joe Biden a reçu sa famille à la Maison-Blanche, le 25 mai 2021, en présence de la vice-présidente Kamala Harris. Ses proches ont, une nouvelle fois, appelé le Congrès à adopter rapidement une vaste réforme de la police, qui interdit notamment les prises d’étranglement. «Si vous pouvez faire une loi fédérale pour protéger un oiseau, le pygargue à tête blanche, vous pouvez faire une loi fédérale pour protéger les personnes de couleur», a lancé Philonise, l’un des frères de George Floyd. Quant au président démocrate, il a assuré, comme l’a affirmé la fille de George Floyd, que l’Afro-Américain a bien «changé le monde».

«I can’t breathe» (je ne peux pas respirer): ces mots resteront à jamais associés à l’affaire Floyd. Et à un procès qui a marqué l’Amérique. Le fameux «mur bleu du silence» (couleur de la police) a été fissuré, des collègues et supérieurs hiérarchiques de Derek Chauvin ayant témoigné contre lui. Mais le mouvement Black Lives Matter ne lâche pas la pression: les efforts législatifs, tant au niveau fédéral que local, pour lutter contre le racisme systémique et les discriminations dont les Afro-Américains font régulièrement l’objet, restent pour l’instant très timides.