Les chiffres parlent d'eux-mêmes: avec 59 expatriés présents aujourd'hui sur le terrain au Liban, contre deux au début du conflit et un appel de fonds d'environ 65 millions d'euros, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a pris la mesure du défi humanitaire. Avant de se rendre sous peu à Beyrouth et à Tyr, le président du CICR revient sur cette guerre dont les civils libanais paient le prix fort. Les propos ci-dessous ont été relus et corrigés à sa demande par M. Kellenberger.

Le Temps: Quel jugement portez-vous sur le conflit?

Jakob Kellenberger: Face à un tel nombre de civils tués et blessés, la question de l'utilisation disproportionnée de la force se pose , c'est clair. L'horreur de Cana montre l'importance du droit international humanitaire et du respect des règles sur la conduite des hostilités. Nous avons insisté dès le début auprès des parties au conflit sur l'interdiction des attaques contre les civils et l'obligation de distinguer à tout moment les populations des combattants et les objectifs civils des objectifs militaires.

- Le principe de proportionnalité dans l'usage de la force au sud du Liban est-il respecté?

- Je ne veux pas porter de jugement. Il n'est d'ailleurs pas possible de le faire sans avoir en main l'ensemble des éléments. Pour juger, vous devez connaître les cibles et l'importance de l'objectif. Vous devez connaître des détails militaires qu'aujourd'hui seuls les belligérants savent. L'expérience du CICR nous permet de poser la question. Pas d'y répondre maintenant.

- Quid des attaques menées contre le nord d'Israël?

- Les roquettes tirées sur Israël visent et atteignent des civils. Cela est interdit par le droit humanitaire.

- Vos premiers convois n'avaient pas pu accéder aux zones de combat. Qu'en est-il aujourd'hui?

- Nous avons acheminé au total de l'aide pour près de 5000 familles à partir de nos deux bases dans le sud, à Tyr et à Marjayoun. Nous avons accès à la plupart des localités frontalières à partir des routes Naqoura-Rmaich et Marjayoun-Kfar Kila. Une mission d'exploration vient d'avoir lieu vers Baalbek. Nous envisageons maintenant d'accroître l'aide aux déplacés de guerre réfugiés à Saïda et à Tripoli. Nous avons affrété un navire de mille tonnes qui fait une rotation entre Chypre, Beyrouth et Tyr, et nous en cherchons un autre. Nous sommes de très loin le plus important opérateur humanitaire dans la zone. Le point noir, en revanche, est l'accès aux localités proches de Aitaroun et au sud de Bent Jbeil. Là, l'intensité des combats nous bloque.

- Vous a-t-on empêché délibérément d'accéder à des zones, malgré l'urgence humanitaire?

- Non. Nous avons dû rebrousser chemin parce que les combats faisaient rage, pas parce que nous nous sentions visés. Comme vous le savez, chacun de nos convois fait l'objet auprès des deux parties d'une notification, comme toujours dans un conflit aussi intense. Nous avertissons de notre départ et de notre destination. Or sur cette base, nous n'avons pas souffert d'obstruction. Mais il y a des jours où, malgré le feu vert reçu, vous ne pouvez pas bouger. La sécurité de notre personnel est une grande responsabilité. C'est une véritable guerre qui se déroule.

- Quelles sont les urgences humanitaires aujourd'hui?

- Les trois denrées les plus demandées sont les aliments pour bébé, les rations et les kits d'hygiène. L'autre priorité est d'assurer un soutien au service d'ambulance de la Croix-Rouge libanaise, à ses 20 cliniques et aux hôpitaux du pays. Ils font un formidable travail et font face à l'afflux de blessés. Mais leurs stocks de médicaments s'épuisent...

- N'avez-vous pas peur des critiques dans le monde arabe? Le CICR n'apparaît-il pas au Liban comme le brancardier d'Israël?

- Cette vue ne correspond pas à la réalité. Nous sommes présents et actifs dans la région depuis 1967. L'opération au Liban est maintenant la deuxième plus importante pour le CICR, après le Soudan. Nous continuons d'être en Irak malgré l'attentat dont nous avons été victimes en 2003. Plusieurs de nos grandes opérations humanitaires actuelles se déroulent dans le monde arabe.

- Vous avez demandé au Hezbollah l'autorisation de visiter leurs prisonniers israéliens. Où en êtes-vous?

- Nous n'avons pas pu rencontrer ces détenus et je le regrette. Nous visitons par ailleurs 11000 prisonniers en Israël.

- Avez-vous déjà pu visiter les prisonniers capturés récemment au Liban par Tsahal?

- Je n'ai pas encore vu de notification de la part d'Israël. Quand ce sera le cas, je pars de l'idée que nous pourrons les visiter.