S'agit-il de la fin sanglante de l'une des figures les plus marquantes et les plus controversées du terrorisme palestinien de ces vingt-cinq dernières années? D'un meurtre commandité par les services secrets israéliens? Ou du énième épisode en date d'une cavale meurtrière jalonnée de cadavres, de rumeurs et de manipulations dignes d'un roman d'espionnage à la John Le Carré?

Abou Nidal serait mort vendredi à Bagdad dans son appartement. Le journal palestinien Al-Ayyam a été le premier à donner la nouvelle dans son édition de lundi, sans plus de précisions. Des sources palestiniennes ayant requis l'anonymat ont ensuite confirmé l'annonce, affirmant que «le père de la lutte», de son vrai nom Sabri al-Banna, âgé de 65 ans, avait reçu plusieurs balles et qu'il s'était suicidé (sic). Le chargé d'affaires palestinien à Bagdad, interrogé par l'AFP, a affirmé ne disposer d'aucune information à ce sujet. Quant aux autorités irakiennes, elles n'ont jamais reconnu la présence sur leur sol du Palestinien, malgré la relation ancienne qui le liait personnellement à Saddam Hussein.

Ennemi juré de Yasser Arafat et de la paix avec Israël, Abou Nidal était entre autres soupçonné d'avoir commandité les attentats sanglants contre les guichets d'El Al aux aéroports de Rome et de Vienne en 1985, qui avaient fait 18 victimes. Plusieurs attaques contre des intérêts juifs en Europe lui sont aussi attribuées, dont l'attentat rue des Rosiers à Paris, le 9 août 1982.

Les conditions mystérieuses de la mort d'Abou Nidal, si celle-ci se vérifie, sont dans la droite ligne d'un personnage qui joue depuis des décennies à cache-cache avec tout ce que le monde occidental compte de policiers et de juges antiterroristes. Il avait fait une dernière fois parler de lui durant l'été 1998, au terme de son idylle avec la Libye du colonel Kadhafi, soumise à rude pression de la communauté internationale pour qu'elle s'en débarrasse. Il aurait ensuite transité par l'Egypte vers un autre refuge, l'Irak. Le Washington Post avait alors affirmé que le chef terroriste, souffrant d'une leucémie, avait été arrêté mais que les autorités égyptiennes, craignant des représailles en cas d'extradition vers les Etats-Unis, s'en étaient débarrassées au plus vite. Aussi bien l'Egypte que l'organisation d'Abou Nidal, le Fatah Conseil révolutionnaire (Fatah-CR), avaient démenti.

Vrai ou faux, cet épisode égyptien montre au moins que l'homme, longtemps après ses hauts faits d'armes des années 70 et 80, continuait à faire peur. Depuis sa scission d'avec l'Organisation pour la libération de la Palestine (OLP) de Yasser Arafat en 1974, Abou Nidal s'était forgé sur la scène du terrorisme international une effrayante réputation de tueur à gages dont les motivations, pour beaucoup, n'avaient plus qu'un lointain rapport avec la cause palestinienne.

Né à Jaffa en 1937, ce fils d'un exportateur aisé d'oranges s'est très vite retrouvé aspiré dans la spirale de la revendication nationale palestinienne, puis de la violence politique brute. Militant du parti Baas laïc dès le milieu des années 50, il émigre en Arabie saoudite d'où il est expulsé vers la Jordanie en 1967. A Amman, il rejoint les rangs de l'OLP nouvellement créée, dont il devient le représentant à Khartoum puis à Bagdad au début des années 70. C'est dans la capitale irakienne qu'il est recruté par les services secrets locaux, pour lesquels il fait son entrée formelle sur la scène terroriste en commanditant la prise en otage du personnel de l'ambassade d'Arabie saoudite à Paris, en septembre 1973.

Alors que l'instrumentalisation de la cause palestinienne par les régimes arabes bat son plein, Abou Nidal choisit son camp: il rompt avec Yasser Arafat, qu'il accuse de capituler face à Israël. Sous la conduite du chef de l'Etat irakien Bakr et de son vice-président, Saddam Hussein, il devient le bras armé du «Front du refus» arabe à toute paix avec Tel-Aviv et s'attache à éliminer les représentants de l'OLP à l'étranger, ainsi que les «colombes» de l'Organisation. Autre objectif: la Syrie d'Hafez al-Assad, honnie pour avoir envahi le Liban en septembre 1978, coupant la route aux Palestiniens qui considèrent alors que la libération de Jérusalem passe par Beyrouth. Ce qui n'empêche pas le terroriste de retourner ensuite sa veste: expulsé d'Irak en 1983, Abou Nidal se met ensuite au service… de Damas, qui s'en sert pour intimider Arafat et le roi Hussein à coups d'attentats et d'assassinats. Il passera au service de la Libye quatre ans plus tard.

Parue en 1992, l'une des rares biographies solides du personnage avait provoqué la polémique. Sous le titre Abu Nidal, a gun for hire («Une arme à louer»), le Britannique Patrick Seale, spécialiste reconnu du monde arabe, s'interrogeait sur les véritables commanditaires de ses attentats. Le groupe d'Abou Nidal, constatait-il, s'est en effet rendu coupable de tellement d'assassinats de responsables modérés de l'OLP, chargés notamment des relations avec la gauche israélienne, qu'on pouvait se demander s'il n'était pas infiltré par les services secrets israéliens, et manipulé de l'intérieur pour nuire à l'organisation de Yasser Arafat. Cette théorie, qui s'appuie sur le nombre relativement faible d'attaques portées directement contre Israël par Abou Nidal, et sur le fait que l'Etat hébreu n'est jamais parvenu à l'éliminer, a été largement reprise par l'OLP elle-même, pour qui Sabri al-Banna n'était ni plus ni moins qu'un agent du Mossad.

Les circonstances troubles de la mort de Sabri al-Banna, quoi qu'il en soit, ajoutent au mystère de son parcours.