Humanitaire
L’organisation caritative britannique fait son mea culpa après les révélations sur le recours à des prostituées par des employés en Haïti. Son directeur juge que l’ensemble du secteur humanitaire est exposé

«Nous sommes tellement désolés.» Dix jours après les révélations sur le recours à des prostituées par plusieurs humanitaires déployés en Haïti après le terrible séisme de janvier 2010, l’ONG britannique Oxfam publie de pleines pages de mea culpa dans la presse britannique. La puissante organisation caritative, au centre d’un scandale mondial, reconnaît qu’elle aurait dû être «plus explicite sur le comportement révoltant» de ses anciens employés.
Oxfam a finalement rendu publique ce lundi l’enquête interne que l’ONG avait lancée en 2011 après avoir eu vent de pratiques inappropriées dans sa mission en Haïti. Le rapport était resté jusqu’ici strictement confidentiel. L’ONG justifie cette discrétion par la volonté de ne pas mettre en danger ses activités en Haïti. C’était avant le tollé suscité par les révélations du Times il y a dix jours.
Témoins intimidés
Durant l’investigation interne menée par Oxfam, le chef de la mission, le Belge Roland van Hauwermeiren, le seul employé à être nommément identifié dans la version publique du rapport, a reconnu avoir recouru à des prostituées dans sa résidence mise à disposition par son employeur. Plutôt que d’être licencié, le manager a démissionné. Et Oxfam lui a offert une «sortie progressive et digne» en échange de sa collaboration à la poursuite de l’enquête.
Car le recours à des prostituées haïtiennes ne se limitait pas au chef de mission, toujours selon ce rapport. Six autres employés y ont recouru dans les locaux de l’ONG. Plusieurs d’entre eux ont aussi harcelé sexuellement des collègues féminines. Un autre a téléchargé des vidéos pornographiques depuis son ordinateur de fonction. Enfin, trois employés visés ont tenté d’entraver l’enquête en intimidant leurs collègues.
Certains employés réembauchés
Toutes les personnes mises en cause ont été licenciées ou ont dû démissionner. Mais certaines d’entre elles ont retrouvé de l’embauche dans d’autres ONG. Après Oxfam, Roland van Hauwermeiren, aujourd’hui âgé de 68 ans, avait ainsi rejoint l’ONG française Action contre la faim au Bangladesh. Cette dernière a regretté de ne pas avoir été prévenue des antécédents du Belge. Oxfam se défend aujourd’hui d’avoir produit la moindre référence positive pour ses anciens employés en Haïti. L’ONG plaide pour une meilleure collaboration du secteur de l’aide afin d’éviter d’engager des personnes coupables d’abus sexuels.
La semaine dernière, Roland van Hauwermeiren s’était déclaré «honteux». Mais il a minimisé son rôle en affirmant qu’il n’avait pas recouru à des jeunes prostituées, contrairement à ce qu’affirme le rapport d’enquête d’Oxfam. Dans une lettre publiée par des médias belges, il avait seulement reconnu avoir eu des rapports sexuels avec une «femme honorable et mature». Il l’aurait rencontrée après avoir aidé sa sœur, à qui il avait fourni du lait et des couches-culottes.
«Hors de proportion»
Dans une interview au Guardian ce week-end, Mark Goldring, le directeur d’Oxfam entré en fonction en 2013, admettait qu’il avait été briefé sur des «incidents» en Haïti. Il assurait que les contrôles internes et la protection des lanceurs d’alerte ont depuis été renforcés. «Soyons clairs: cela arrive dans chaque organisation d’aide», disait-il, tant la vulnérabilité des populations assistées, comparée au pouvoir des expatriés est un facteur de risque.
Mais le directeur d’Oxfam jugeait que le scandale était «hors de proportion». Et de sous-entendre qu’Oxfam est aussi clouée au pilori pour d’autres raisons. Car l’influente organisation ne se contente pas de venir en aide aux populations démunies à travers le monde mais dénonce notamment les inégalités de plus en plus criantes entre les grandes fortunes et les plus pauvres, ainsi que les «paradis fiscaux», dont la Suisse. Suite à ces révélations haïtiennes, le gouvernement britannique a suspendu ses financements à Oxfam. L’ONG bénéficie aussi du soutien de la Suisse.