En Afrique, le retour du discours anticolonial
Lors d’un colloque à Paris sur les liens entre l’Afrique et l’Europe, la dénonciation du colonialisme et de son legs a dominé les débats. Alors que la Chine et la Russie avancent leurs pions sur le continent, l’Europe reste perçue comme la puissance hégémonique
Paris, un jeudi à 18h. Des jeunes manifestant contre la réforme des retraites courent dans le boulevard Auguste Blanqui coupé à la circulation. Une trottinette est en feu, il y a des détonations, des fumigènes, des cordons policiers se mettent en mouvement. «Vous êtes sûr qu’on ne risque rien?» Ramatoulaye Diagne Mbengue, rectrice de l’Université de Thiès, au Sénégal, préfère ne pas quitter le lobby de l’hôtel qui jouxte la place d’Italie, point de chute de cette onzième journée de mobilisation syndicale. La philosophe atterrit dans une France qui se déchire pour participer à un débat sur des relations non moins conflictuelles: celles qui existent entre son continent, l’Afrique, et l’Europe. Dans un monde qui change, elles sont à repenser.
«De plus en plus de mouvements en Afrique prônent une rupture avec la France, avec l’Europe. C’est nouveau, explique la première femme à occuper le poste de recteur d’université au Sénégal. Le discours anticolonial revient en force.» Elle en décrit l’impact dans le monde académique. Ses étudiants critiquent: «On a africanisé l’enseignement, mais on ne l’a pas suffisamment décolonisé.» Des lycéens font grève pour demander une réduction des programmes: moins d’apprentissage de langues européennes, moins d’histoire d’inspiration française ou de philosophie européenne. Ramatoulaye Diagne Mbengue défend elle aussi un rééquilibrage, mais pas de rejet, encore moins un repli identitaire tel que proclamé par certains panafricanistes. «On ne veut plus de cet universalisme qui servait de bibelot au colonialisme. Cela ne veut pas dire qu’on abandonne les idées universalistes.» Ramatoulaye Diagne Mbengue prône la «co-construction». Son université a créé, en partenariat avec celle du Witwatersrand à Johannesburg et l’Ecole normale supérieure de Paris, un programme commun de formation pour «décentrer la pensée» et parler «d’égal à égal». «Chaque campus possède la même dignité et le même droit à dire le monde, précise-t-elle. Pour redonner au devenir son innocence.»