Mercredi dernier, au lendemain d’un coup d’Etat éclair, les Maliens ont découvert un jeune officier à la barbe naissante. Depuis, le colonel Assimi Goita, 37 ans, n’a pas quitté son treillis couleur sable. Le soldat veut se présenter comme un homme de terrain. Il a en effet passé les dernières années à combattre les djihadistes, qui portent des coups terribles à l’armée malienne. L’officier ne serait toutefois pas un inconnu des militaires étrangers, notamment français ou américains, qui appuient les forces maliennes.

Ce commandant des forces spéciales dans la région du centre, aussi en proie à d’incontrôlables violences intercommunautaires, est désormais le président du Comité national pour le salut du peuple. L’instance autoproclamée réunit les jeunes officiers qui ont pris sans coup férir le pouvoir à Bamako.

«Le Mali se trouve dans une situation de crise sociopolitique, sécuritaire. Nous n’avons plus le droit à l’erreur. Nous, en faisant cette intervention hier [mardi dernier, ndlr], nous avons mis le pays au-dessus, le Mali d’abord», avait déclaré Assima Goita, entouré de soldats en armes, dans sa première déclaration publique, très hésitante.

Le coup d’Etat semble avoir été plutôt bien accueilli par les Maliens, après des semaines de manifestations, parfois durement réprimées, contre le président Ibrahim Boubacar Keïta, alias IBK. Tout porte à croire que les Maliens ont déjà tourné la page IBK, élu en 2013, à la suite d'un autre coup d’Etat, et réélu sans enthousiasme en 2018.

«Le soulagement domine»

«Tout est calme dans la capitale Bamako. Il n’y a ni patrouilles, ni soldats dans les rues. Habituellement, les coups d’Etat suscitaient l’inquiétude. Cette fois, c’est le soulagement qui domine», témoigne Oumar Baldet, le directeur de l’œuvre d’entraide suisse Helvetas au Mali.

Le pouvoir d’IBK est tombé comme un fruit mûr, presque sans effusion de sang. Le président déchu serait toujours détenu dans la ville garnison de Kati, au nord de la capitale, d’où les putschistes sont allés cueillir le président. Sous la contrainte, IBK a ensuite annoncé sa démission.

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L’opération a été rondement menée mais, depuis, les choses se sont compliquées pour les putschistes. Jeudi dernier, les présidents de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l’Ouest (Cedeao) ont fermé leurs frontières avec le Mali, menaçant d’asphyxier ce pays enclavé tant que l’ordre constitutionnel ne serait pas restauré.

La junte avait d’abord promis de nouvelles élections rapides. Puis elle a évoqué une période de transition de trois ans, pour finalement démentir et affirmer que la passation des pouvoirs ne pouvait être décidée que par les Maliens. La mission dépêchée à Bamako par la Cedeao a pu rencontrer le président IBK et les militaires ont donné des gages sur son sort, promettant qu’il serait bientôt libre de ses mouvements.

Mais la délégation menée par l’ancien président nigérian Goodluck Jonathan n’est pas parvenue à s’entendre sur les contours de la transition pour garantir un retour du pouvoir aux civils. Les présidents de la région auront ce mercredi une conférence en ligne pour décider de durcir ou d’alléger les sanctions contre le Mali.

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Les pays voisins divisés

Les chefs d’Etat ouest-africains sont divisés sur l’attitude à adopter. Certains sont eux-mêmes fortement contestés par leur population et craignent de connaître le même sort qu’IBK. C’est le cas de l’Ivoirien Alassane Ouattara et du Guinéen Alpha Condé, qui briguent, malgré l’usure du pouvoir, un troisième mandat très contesté cet automne. D’autres pays comme le Sénégal et la Guinée-Bissau ne veulent pas punir davantage le Mali, en pleine guerre contre les djihadistes, dont la contagion inquiète toute la région.

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Une chose semble toutefois acquise: IBK ne retrouvera pas son fauteuil. Le président déchu ne le souhaiterait pas lui-même, comme il l’aurait confié aux émissaires africains. «Mais il faut que les militaires ne s’éternisent pas au pouvoir, comme en Egypte ou en Algérie», met en garde le sociologue malien Mohamed Amara, pourtant très critique contre le pouvoir sortant, gangrené par la corruption et reposant de plus en plus sur la famille du président.

L’analyste plaide pour ne pas se précipiter vers de nouvelles élections. «Il faut d’abord faire des réformes constitutionnelles et nettoyer les listes électorales pour éviter toute future contestation», prône-t-il. «Les coups d’Etat sont condamnables, abonde dans le même sens Gilles Yabi, fondateur du think tank Wathi, basé à Dakar. Mais il faut être réaliste: le pouvoir malien était en pleine déliquescence. Concentrons-nous sur les conditions de la transition, qui devrait être dirigée par un civil. Les militaires se concentreraient sur les problèmes sécuritaires.» En attendant, le pouvoir à Bamako reste, en tout cas en apparence, aux mains du mystérieux colonel Assimi Goita.