Mali
Enlevée par des islamistes en 2016 au Mali, la missionnaire évangélique bâloise a été tuée par ses ravisseurs. Alors que d’autres otages occidentaux viennent d’être libérés, son décès remet en cause l’action diplomatique suisse dans ce pays confronté à une recrudescence des mouvances djihadistes

Les circonstances du décès de la missionnaire bâloise Béatrice Stockly, détenue par des djihadistes depuis quatre ans au Mali, restent floues. Informé vendredi par les autorités françaises suite à la libération de quatre otages étrangers dont l’humanitaire franco-suisse Sophie Pétronin, le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) dit suivre le dossier de près. La missionnaire évangélique avait été enlevée en 2016 dans le nord du Mali par des islamistes du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, une organisation djihadiste issue d’Al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi) et présente au Sahel.
Constituée en 2016 pour mener les négociations, une task force regroupant le DFAE, le Ministère public de la Confédération, FedPol et les services de renseignement est aujourd’hui en contact avec les autorités maliennes pour clarifier les circonstances exactes du décès de Béatrice Stockly, qui serait intervenu il y a environ un mois. Il s’agit aussi pour les autorités de localiser le corps et d’organiser un rapatriement.
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Installée au Mali depuis plusieurs années, Béatrice Stockly avait été enlevée une première fois en 2012 par des islamistes qui avaient pris le contrôle de Tombouctou. La missionnaire, qui œuvrait vraisemblablement de manière indépendante, avait été libérée après une dizaine de jours de captivité grâce, notamment, à une médiation du Burkina Faso. A son retour, les autorités suisses lui avaient alors fortement déconseillé de se rendre de nouveau au Mali. Recommandation que la Suissesse n’avait pas suivie. En janvier 2016, elle avait de nouveau été kidnappée à son domicile. En 2017, elle était apparue dans une vidéo tournée par ses ravisseurs aux côtés d’autres otages étrangers. Berne avait alors réitéré sa «demande de libération sans condition».
«Très engagée dans sa mission d’évangélisation»
Envoyé spécial de la Suisse au Sahel entre 2013 et 2017, l’ancien conseiller aux Etats Didier Berberat l’a rencontrée une fois à Bamako, entre ses deux enlèvements. «C’était une personne très engagée dans sa mission d’évangélisation, raconte-t-il. Elle s’occupait des enfants du quartier, cultivait des herbes aromatiques et distribuait des bibles.» Une activité de prosélytisme mal perçue par les groupuscules djihadistes en présence.
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Mandaté pour accompagner le processus de paix au Mali, Didier Berberat n’était pas chargé de négocier la libération de Béatrice Stockly. Le mot d’ordre du DFAE était toutefois très clair. «A chaque fois qu’on rencontrait les autorités officielles maliennes, les mouvements indépendantistes ou d’autres interlocuteurs internationaux, nous devions signaler notre très vive inquiétude à son sujet, rapporte-t-il. Le gouvernement malien nous répétait déployer tous ses efforts pour y parvenir, mais nous savions bien que plus de la moitié du territoire échappait à son contrôle.»
Pas d’ambassade à Bamako
Alors que les négociations françaises ont abouti, la Suisse a-t-elle suffisamment œuvré pour sa ressortissante? «Le DFAE a fait le maximum dans la mesure de ses moyens», estime Didier Berberat, qui précise toutefois que la Suisse, si elle a un bureau de coopération, n’a pas d’ambassade à Bamako. «Notre absence diplomatique sur place n’a sûrement pas arrangé les choses, mais elle ne suffit évidemment pas à expliquer la mort de Béatrice Stockly.» Et Didier Berberat de souligner que la Suisse doit se doter de moyens supplémentaires si elle veut jouer un rôle dans la région.
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Pour un expert du terrorisme qui souhaite garder l’anonymat, le contexte géopolitique a pesé sur les négociations. «Le Mali de 2016 n’avait plus rien avoir avec le Mali de 2012, estime-t-il, la présence militaire de la France a changé la donne. A ma connaissance, la Suisse n’a jamais pu avoir de canal de discussion direct avec les djihadistes. Toute son action s’est déroulée dans l’ombre de la France.» Selon lui, l’attitude de Béatrice Stockly a également compliqué l’action des autorités. «Lors de son premier enlèvement, ses ravisseurs lui avaient fait comprendre qu’elle serait tuée si elle revenait, des diplomates suisses l’avaient également mise en garde, elle s’est obstinée.»
Il n’empêche, l’exécution d’otages, considérés comme une intéressante monnaie d’échange, est plutôt rare au sein d’Aqmi. Comment expliquer que Béatrice Stockly ait été tuée? «Plusieurs hypothèses sont envisageables, juge l’expert. Un refus de négocier de la partie adverse, une manœuvre de pression finalement mise à exécution, une tentative de fuite de la part de l’otage, un risque que les forces de sécurité ne la récupèrent ou encore un geste de représailles.»