«Je n’ai jamais eu l’ambition de partir vivre en Europe. Je suis né au Kenya, où j’ai grandi et fait mes études. Comme beaucoup d’adolescents passionnés de football, je rêvais de jouer un jour pour mon club préféré, l’A.F.C. Leopards. C’est pendant mes premières études de comptabilité à la Strathmore University que j’ai compris que je ne deviendrais pas professionnel, même si j’ai continué à jouer à un bon niveau.

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Après avoir poursuivi mes études en informatique à l’Université de Nairobi, j’ai trouvé un travail au quartier général africain du Bureau mondial du scoutisme à Nairobi. Ray Saunders, mon superviseur, m’a vite proposé un contrat de deux ans au siège suisse de l’ONG. Je n’ai pas cherché à partir, l’opportunité s’est simplement présentée d’elle-même. En été 2009, j’ai donc quitté mon pays, prenant l’avion pour la première fois. A Genève, j’ai tout de suite cherché un endroit où jouer au football, et Ray Saunders m’a dirigé vers l’US Carouge, actif en 4e ligue. Je me suis vite intégré, j’aimais ma vie en Suisse et j’ai décidé de rester. J’ai trouvé du travail à l’ONU, la meilleure option lorsqu’on a un passeport africain à Genève. J’ai un peu jonglé entre les contrats, j’étais content de mon job, des différentes possibilités de formation et des nombreux contacts noués au sein de différentes organisations. Et j’ai finalement obtenu un poste fixe en 2015.

C’est paradoxalement aussi à ce moment-là que j’ai remis en question ma carrière dans l’informatique. A 30 ans passés, je n’étais pas entièrement satisfait, à la fois au niveau professionnel et personnel. Il me fallait trouver une activité plus enrichissante. Et je voulais surtout me rapprocher de ma passion de toujours, le football.

J’ai commencé à beaucoup me documenter sur ce sport, son industrie, et j’ai même lancé un blog sur le sujet. A Genève venait de se créer une école, la Football Business Academy, j’ai décidé d’y suivre un master. Ces études ont confirmé une impression qui s’était installée dans un coin de mon esprit depuis mes débuts à l’US Carouge: il serait extrêmement bénéfique de mettre en place au Kenya, et plus généralement en Afrique, le type d’infrastructures qu’on trouve partout en Suisse, particulièrement au niveau amateur.

Partir de la base

En 2016, j’ai profité de mes vacances pour organiser un premier tournoi à Nairobi, l’«Obama Cup». J’ai vu l’énorme potentiel qu’il y avait pour renforcer le football au plus près de la population. En Afrique, je trouve qu’on sous-estime l’importance sociale et économique de ce sport dans la communauté. On a beaucoup investi dans le football sur le continent, pourtant très peu de personnes peuvent gagner leur vie dans ce milieu. Et c’est ce que je voudrais changer en investissant dans l’éducation, pour expliquer comment cette industrie fonctionne. Il ne faut pas juste former une poignée de joueurs pour le marché européen, on doit aussi s’intéresser à la majorité de ceux qui restent ici en créant un meilleur environnement. Pas besoin d’infrastructures de luxe, mais simplement de bonnes structures fonctionnelles. Ce genre d’écosystème peut être mis en place en Afrique en proposant aux investisseurs d’injecter de l’agent à la base, en complément au système très vertical de la FIFA.

Petit à petit l’idée m’est venue de lancer une structure pour incarner ces idées: la Football Foundation for Africa. Que j’ai été officiellement inaugurée en 2018 lors d’un tournoi au Botswana, pour montrer mon ambition de toucher tout le continent. En mars 2019, je suis revenu m’installer à Nairobi pour me consacrer à plein temps à ce projet.

Monter une telle structure en Afrique, en marge des puissantes fédérations internationales, n’est pas simple. Au début, j’ai eu des difficultés à susciter de l’intérêt pour mon initiative au Kenya. J’ai même imaginé baser la fondation à Genève, à proximité de la FIFA, de l’UEFA ou du CIO. Mais en choisissant finalement Nairobi, j’ai créé une organisation qui est véritablement africaine. Je garde bien sûr un réseau et des contacts à Genève, qui reste un lieu stratégique dans lequel il faut avoir une présence.

Sur un plan personnel, la transition a aussi été difficile: changer de carrière, quitter ma vie genevoise après dix ans. Quand on explique qu’on abandonne un travail à l’ONU pour se lancer dans le monde du football à Nairobi, on reçoit peu d’encouragements. J’y ai aussi investi mes économies. En même temps, je fais vraiment ce que j’aime. Et de plus en plus de gens viennent me voir pour me dire que cette initiative a le potentiel de changer l’état d’esprit qui entoure ce sport.»


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