Justice
Le mouvement pour dissoudre une unité policière particulièrement brutale a commencé sur les réseaux sociaux et s’est propagé dans les rues des grandes villes nigérianes. Les jeunes sont en tête des manifestations, avec le soutien d’influenceurs et de stars de la musique, jusqu’alors peu engagés politiquement

Distribution d’imperméables et de vivres, envoi d’équipes médicales pour aider des blessés ou d’avocats pour faire libérer des manifestants arrêtés: sur les réseaux sociaux, la jeunesse nigériane s’organise pour intensifier son mouvement dans la rue et faire entendre sa voix. «Sans leader» mais «connectés», des milliers de jeunes exigent depuis plus d’une semaine la fin des violences policières et augmentent la pression sur le gouvernement.
Sur Twitter ou sur WhatsApp, ils se donnent rendez-vous chaque matin: «Rassemblement à King Square à midi», «Rejoignez-nous au pont de Lekki», «Venez nombreux à Abuja», utilisant le hashtag #EndSARS, devenu ces derniers jours l’un des plus partagés du monde.
Leur objectif initial, faire tomber la SARS, une unité de police accusée depuis des années de racketter la population, d’arrestations illégales, de torture et même de meurtre. Face à la contestation, la présidence a annoncé dimanche sa dissolution. Le mouvement a commencé début octobre sur les réseaux sociaux après la diffusion d'une vidéo d'un homme laissé pour mort par des policiers dans le sud du pays. S'en est suivie une avalanche de témoignages contre cette unité. Mais sa dissolution annoncée n’a pas convaincu la jeunesse, qui demande désormais au gouvernement de rendre des comptes, et les manifestations ont repris de plus belle dans plusieurs grandes villes du pays.
«Mobilisation inédite»
«C’est une mobilisation inédite pour le Nigeria, elle est menée par des jeunes et est apolitique», explique à l’AFP Jude Udo Ilo, de la fondation Open Society en Afrique de l’Ouest. Dans ce pays de 200 millions d’habitants, le plus peuplé d’Afrique, les manifestations sont rares, et généralement l’apanage des partis politiques et des syndicats.
Dans la rue, ces jeunes brandissent des bouts de carton sur lesquels sont inscrits au stylo à bille leurs slogans: «Stop aux violences policières», «Sans justice, pas de paix», ou encore «Le changement arrive». Sur Twitter, des internautes coordonnent le mouvement. «Il pleut quelque part? Nous pouvons envoyer des imperméables», tweete mercredi matin l’activiste Feyikemi Abudu, alors que des trombes d’eau s’abattent sur Lagos, la tentaculaire capitale économique, épicentre de la contestation.
The rain isn’t stopping anything, the movement continues ✊🏾 #ENDSARS #EndPoliceBrutality #PulseAgainstPoliceBrutality #ENDSARSProtests #ENDSWATpic.twitter.com/e1pZXQri6a
— Pulse Nigeria (@PulseNigeria247) October 14, 2020
Avec plusieurs associations féministes, Feyikemi Abudu récolte des fonds sur internet et apporte un soutien matériel au mouvement. Des manifestants ont été arrêtés dans tel quartier? Sur Twitter, on se mobilise pour retrouver des témoins et envoyer des avocats bénévoles dans les commissariats. Une femme est blessée dans un des rassemblements? L’information est publiée sur les réseaux sociaux, et une équipe médicale est déployée pour évacuer la victime.
Pas de leader
Il y a ceux «qui manifestent dans la rue, ceux qui récoltent des fonds pour les soutenir, ceux qui utilisent leur influence pour faire libérer des manifestants arrêtés, ceux qui sont des personnalités publiques et qui encouragent les autres à se mobiliser», détaille Leo Dasilva, un financier et agent immobilier de 28 ans, très engagé dans la contestation. Selon lui, c’est cette jeunesse «unie» et «connectée» qui explique l’ampleur du mouvement.
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Parmi eux, Obong Roviel, qui travaille dans le marketing digital et qui, à 23 ans, compte près de 300 000 abonnés sur Twitter. Chaque jour, il publie des dizaines de messages enjoignant les jeunes à poursuivre le combat, mais refuse d’être considéré comme un «leader». «Je ne suis qu’un citoyen éveillé, victime comme les autres des violences policières», dit-il à l’AFP.
«Cette contestation n’a pas de leader et c’est pour cela qu’elle continue», renchérit Leo Dasilva. «La mobilisation est immense, car l’injustice» des violences policières «est partagée par tous les jeunes au-delà de leurs ethnies ou de leurs milieux sociaux».
Stars à la rescousse
Dans ce combat, la jeunesse peut également compter sur le soutien des stars de la musique, extrêmement populaires dans toutes les couches de la population nigériane. Le chanteur Davido, écouté dans le monde entier, était en première ligne dimanche lors des manifestations organisées à Abuja, et la star de l’afropop Wizkid a fait une apparition remarquée lors d’un rassemblement devant l’ambassade du Nigeria à Londres le même jour.
Amidst it all. We must not forget the reasons we are protesting, we must not forget the peaceful manner of the protests and we must most certainly not back down until our demands are met! Sars ending is a great start but the task is far from completed! pic.twitter.com/DdlYqca49x
— Davido (@davido) October 11, 2020
Ces prises de position «comptent», explique à l’AFP le journaliste nigérian Oris Aigbokhaevbolo. Dans la population, «il y a une soif de voir ces stars de la musique assumer un rôle de leadership», souligne-t-il. Mardi, le rappeur américain Kanye West a apporté son soutien au mouvement: «Je me tiens aux côtés de mes frères et mes sœurs nigérians dans leur combat pour mettre fin aux violences policières», a tweeté la star mondiale.
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L’annonce par le gouvernement lundi d’une réforme de la police n’a pas fait faiblir le mouvement, mais beaucoup se demandent jusqu’où il peut aller. «On se reposera lorsque nous aurons des résultats, lorsque nous aurons un meilleur Nigeria, lorsque les violences de la police auront totalement disparu», répond Anita Izato, une avocate âgée de 24 ans, très engagée dans la contestation à Abuja, la capitale fédérale. «Nous devons aller plus loin, ajoute-t-elle, car nous avons appris à ne faire confiance que lorsque nous voyons des actes.»