Genève internationale
Les organisations humanitaires tentent de réorganiser leurs activités bouleversées par la pandémie de Covid-19 et mettent en garde contre une «hécatombe» dans les camps de réfugiés et les pays en guerre

Branle-bas de combat à Genève, la capitale mondiale de l’humanitaire. Les opérations d’aide coordonnée depuis la Suisse sont complètement chamboulées par l’épidémie de Covid-19. Plus de 100 millions de personnes dépendent de l’aide humanitaire de l’ONU dans le monde, une majorité d’entre elles se trouvant en Afrique, rappelait mardi le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA).
Lire aussi: «Les mesures drastiques de l’Europe contre le coronavirus»
«Notre priorité est de maintenir les chaînes d’approvisionnement de l’aide», souligne Jens Laerke, porte-parole de l’OCHA. Une gageure. La fermeture des frontières – de plus en plus de pays africains ont suspendu les vols en provenance d’Europe – concerne les individus mais complique aussi l’acheminement de matériel médical, de vivres ou de tentes. «Il y a très peu de mouvements de personnel possibles», reconnaît Jens Laerke. Avant même que les Etats adoptent des règles strictes, les voyages des humanitaires étaient limités par précaution afin de ne pas propager le virus.
A disposition des hôpitaux suisses
Mêmes préoccupations du côté de la section suisse de Médecins sans frontières (MSF): «40% de nos volontaires qui partent sur le terrain sont européens. Ils sont donc bloqués ici», explique Christine Jamet, la directrice des opérations de MSF. Le bon côté de ce grounding: ces spécialistes sont à disposition des hôpitaux suisses. «Nous sommes en train de partager des listes, car nous pensons que nous pouvons apporter notre expérience dans la gestion d’épidémie, comme dans le triage de patients en cas d’afflux», dit-elle.
Séisme en Haïti, guerre en Syrie, Ebola en Afrique de l’Ouest… ces dernières années, MSF a vu bien d’autres crises mais, au dire de sa directrice des opérations, aucune n’a bouleversé autant l’organisation. «Ces prochains mois, nous ne pourrons presque plus amener des renforts sur le terrain. Il va falloir faire des choix drastiques quant aux activités à prioriser», pointe-t-elle.
Une tribune du secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres: Covid-19: Nous en viendrons à bout ensemble
La réponse au coronavirus fera-t-elle partie des nouvelles priorités des organisations humanitaires? L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a lancé vendredi dernier un appel de fonds pour 675 millions de dollars pour aider les pays les plus vulnérables à se préparer à l’épidémie. Au 17 mars, l’OMS avait déjà reçu 103 millions de dollars. Les donateurs les plus importants sont l’Allemagne (27 millions), suivie de la Chine (20 millions), la fondation Bill et Melinda Gates (9,5 millions) et les Etats-Unis (7,2 millions).
L’ONU lancera la semaine prochaine un autre appel aux fonds plus global, car la pandémie ne génère pas seulement des besoins médicaux. «Il faut aussi revoir les distributions de nourriture pour éviter les rassemblements», illustre Jens Laerke. En Suisse, la Chaîne du bonheur réfléchit aussi, avec les ONG helvétiques, à lancer un appel à la générosité des Suisses, soit pour appuyer les efforts des autorités, soit pour des projets à l’étranger.
Alerte sur les camps de réfugiés
«Notre plus grand souci, ce sont les camps de réfugiés, en particulier ceux sur les îles grecques», met en garde Christine Jamet. Un cas a déjà été signalé sur l’île de Lesbos, qui abrite le camp de Moria, où s’entassent quelque 40 000 réfugiés. Les autorités grecques ont suspendu les visites et confiné les occupants du camp. «Mais les grillages n’arrêteront pas le virus, craint Christine Jamet. Vu la promiscuité et les conditions d’hygiène, si le Covid-19 se propage rapidement, ce sera l’hécatombe.» MSF et d’autres ONG appellent en vain à une évacuation des camps. Le Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR) vient, au contraire, d’annoncer une suspension de la réinstallation de réfugiés vers les pays riches, des programmes destinés à soulager les pays qui accueillent le plus de réfugiés.
Lire aussi: «L’OMS ne sortira pas indemne de cette pandémie»
Ces craintes sont relayées par Jan Egeland, le secrétaire général du Norwegian Refugee Council, une autre grande ONG, et ancien coordinateur humanitaire de l’ONU. «Si le virus atteint les camps surpeuplés en Grèce, en Afghanistan, au Bangladesh ou en Iran, les conséquences seront dévastatrices», alertait lundi le Norvégien dans un communiqué. «Il y aura aussi un carnage quand le virus touchera la Syrie, le Yémen ou le Venezuela, où les hôpitaux ont été démolis et les systèmes de santé se sont effondrés.»
Sur l’Afrique, la directrice des opérations de MSF est moins pessimiste. «La population est plus jeune qu’en Europe, analyse Christine Jamet. Les systèmes de santé se sont améliorés ces vingt dernières années. Mais plus on s’éloigne des capitales, plus les systèmes de santé sont fragiles et moins les messages de prévention passent, car le niveau d’éducation baisse.»