A 64 ans, il pourrait déjà se projeter dans une retraite proche, se contenter de regarder le chemin parcouru en se réjouissant d’avoir fait avancer la cause de la santé dans les pays en voie de développement. Bernard Pécoul n’est cependant pas de cette trempe-là. Directeur exécutif de la fondation Initiative Médicaments contre les maladies négligées (DNDi), qu’il a fondée en 2003 avec l’aide de plusieurs institutions de recherche médicale et de Médecins sans frontières (MSF) qui a mis à disposition l’argent de son Prix Nobel de la paix de 1999, il a des projets encore plein la tête.

Lire aussi:  Le docteur des oubliés (19.01.2014)

Médecin formé à l’Université de Clermont-Ferrand, puis à Tulane, à La Nouvelle-Orléans, Bernard Pécoul espère, avec DNDi, créer une vraie coalition de recherche pour les pays du Sud. Pour l’heure, ce sont surtout les grands acteurs des pays du Nord qui donnent le la. Associé à l’Act Accelerator, un dispositif créé pour accélérer l’accès aux outils de lutte contre le Covid-19, notamment pour les questions de traitement et de diagnostic, le directeur de DNDi est catégorique: les chercheurs du Sud ont un vrai savoir-faire et une connaissance très pointue de l’évolution des maladies. Ils doivent être davantage sollicités. C'est dans cette logique que DNDi coordonne une vaste étude clinique lancée le mardi 24 novembre dans treize pays africains par un consortium, Anticov, pour tester des traitements pour les cas légers et modérés de Covid-19 avant qu'ils ne dégénèrent.

Soins à l’arsenic

Son organisation, qui collabore étroitement avec l’Organisation mondiale de la santé, a pour mission de développer de nouveaux traitements pour des maladies plus négligées comme le paludisme, la maladie du sommeil, la leishmaniose ou le sida. La maladie du sommeil tient particulièrement au cœur de ce Français qui a officié comme directeur général de MSF France entre 1991 et 1998. Il se souvient que dans les années 1990, en RDC ou en Angola, MSF traitait à l’arsenic les patients atteints de cette maladie qui, au stade chronique, est à 100% mortelle sans traitement. «C’était la seule thérapie connue. C’était à chaque fois des moments traumatiques, se rappelle-t-il. On savait qu’en administrant ce médicament, un patient sur vingt allait y succomber. C’était très difficile à accepter.»

Pour le patron de DNDi, le statu quo n’était pas acceptable. Avec son ONG, il s’est appliqué à développer une combinaison thérapeutique de deux médicaments existants, l’éflornithine et le nifurtimox, qui sera utilisé sans effets secondaires dans le monde entier. Mais le processus de perfusion est lent et compliqué. DNDi a voulu aller plus loin, élaborant un comprimé comprenant une nouvelle molécule, le fexinidazole, qu’on administre pendant dix jours à raison d’une dose quotidienne.

L’ONG a également coopéré avec une société de biotechnologie américaine pour développer une solution plus révolutionnaire encore: une dose unique. «A partir de 2022-2023, cela pourrait permettre d’éradiquer la maladie», s’enthousiasme déjà Bernard Pécoul, dont l’organisation ambitionne de fournir entre 16 et 18 nouveaux traitements pour des maladies négligées d’ici à 2023.

Malgré son apparente bonhomie, le fondateur de DNDi n’est pas du genre à se laisser impressionner. Quand il dirigeait de Genève la campagne de MSF d’accès aux médicaments essentiels à partir de 1998, il n’avait pas peur d’affronter des patrons de la pharma. Il est aujourd’hui toujours animé par le même sentiment de nécessité: venir en aide à des patients négligés en Afrique, en Amérique latine ou en Asie. D’où, selon lui, l’impératif besoin de conclure des partenariats privé-public.

Sa détermination n’est pas que philosophique. Elle est ancrée dans un vécu et dans le terrain. Bernard Pécoul a roulé sa bosse à travers la planète, au Nicaragua, au Honduras et au Salvador pour MSF, mais aussi en Thaïlande où il a été marqué par les boat people en provenance du Cambodge et du Vietnam. En tant que directeur de MSF France, il a été confronté, dans les années 1990, aux désastres de Somalie, d’ex-Yougoslavie et du Rwanda, des crises qui lui ont montré parfois l’impuissance de l’humanitaire et qui ont contribué à forger sa vision du monde.

Le Cantal, ses racines

A Genève, le patron de DNDi se sent comme un poisson dans l’eau. C’est pour lui la capitale mondiale de la santé. Il y rencontre des experts de l’OMS, des ministres de la Santé et des représentants des pharmas. Il collabore avec les HUG, avec l’Institut de médecine tropicale de Bâle, avec des pays comme la Suisse, le Japon, l’Allemagne et la France ainsi qu’avec l’industrie des génériques, capitale à ses yeux.

Entendre Bernard Pécoul, c’est aussi voyager un peu dans son Cantal natal, auquel il reste très attaché et où il a ses racines. A Pierrefort, un village perché à 950 mètres d’altitude où il a vécu, il a toujours de la famille, des amis d’enfance, dont certains sont agriculteurs. Il y aime les montagnes douces, les lacs et la cueillette des champignons. Il a beau être en contact avec le gotha de la santé globale, il reste terrien et humble. Une simplicité mâtinée de passion et d’un sens aigu du bien commun. Pour rien au monde il ne troquerait Paris, où il a vécu, pour Genève, où, en vingt et un ans, il a eu le temps de se sentir chez lui. Une ville à dimension humaine qu’il parcourt avec son vélo électrique.


Profil

1956 Naissance à Saint-Flour, dans le Cantal.

1983 Obtient son diplôme de médecin à l’Université de Clermont-Ferrand.

1991 Devient directeur général de MSF France.

2003 Fonde l’ONG DNDi.

2020 Prépare un vaste essai clinique Covid-19 dans une dizaine de pays africains.

2020 Reçoit le Prix du Prince Mahidol, le «Nobel de médecine de Thaïlande»


Retrouvez tous les portraits du «Temps».