Un soir de la mi-septembre, plusieurs activistes de la diaspora faisaient le pied de grue devant les Hôpitaux universitaires genevois (HUG). Ces opposants au régime vieillissant du président Biya, qui règne sur le Cameroun depuis presque quatre décennies, cherchaient un patient bien particulier. Marcel Niat, bientôt 85 ans, président du Sénat camerounais, était hospitalisé à Genève, assurent-ils. Devant l’hôpital, ils ont pris à partie et filmé avec leur téléphone portable des compatriotes, y voyant une preuve de la présence du dignitaire.

Les HUG confirment avoir rencontré ces opposants camerounais. «Ils voulaient parler à la direction de l’hôpital, rapporte Nicolas de Saussure, porte-parole des HUG. Ils ont été reçus par notre service de sécurité. Mais le secret médical nous empêche de communiquer sur la présence d’un patient, quel qu’il soit.»

Le numéro deux du Cameroun

Selon nos informations, Marcel Niat avait déjà été soigné à plusieurs reprises aux HUG avant ce mois de septembre. Le président du Sénat n’est autre que le deuxième personnage de l’Etat camerounais. Si Paul Biya, 86 ans, ne pouvait plus assumer le pouvoir, c’est le président du Sénat qui serait amené à assurer l’intérim à la tête du Cameroun. En plus de leur âge avancé, les deux personnalités ont manifestement un autre point commun: ils apprécient Genève.

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Paul Biya est un grand habitué de l’Hôtel Intercontinental depuis la fin des années 1970, à l’époque où le Camerounais n’était pas encore président. Les opposants de la diaspora camerounaise ont réussi à rendre ces «séjours privés» de moins en moins discrets. La dernière visite présidentielle fut de loin la plus mouvementée, au point qu’on peut se demander si Paul Biya reviendra à Genève. La France reste un des soutiens les plus sûrs de Paul Biya mais l’ancienne puissance coloniale est vue avec plus de méfiance que la Suisse, neutre et discrète.

Plus d'une année

En 2018, l’Observatoire de la corruption et du crime organisé (OCRRP) a estimé le coût des innombrables séjours du président camerounais à l’Intercontinental depuis 1982 à 65 millions de dollars. On ignore si Paul Biya, qui n’apparaît plus que rarement en public et dont la santé est l’objet de nombreuses spéculations, a fréquenté les établissements médicaux lémaniques aussi assidûment que l’Intercontinental. Un fait est établi: les plus hauts personnages de l’Etat camerounais sont friands de la médecine helvétique.

Ce printemps, l’ancien chef de cabinet de Paul Biya a passé ses derniers jours dans un établissement lémanique. Martin Belinga Eboutou avait longtemps été l’un des personnages les plus puissants dans l’entourage direct du président Paul Biya qu’il accompagnait régulièrement à Genève. Il a été soigné plus d’une année en Suisse avant de s’éteindre à l’âge de 79 ans. En janvier 2019, Jean Foumane Akame, 81 ans, un autre conseiller influent du président, victime d’un accident cardiovasculaire, a été évacué vers Genève, où il est décédé.

Clientèle très minoritaire des hôpitaux et cliniques de l’Arc lémanique, les personnalités politiquement exposées ne sont habituellement pas enregistrées sous leur vrai nom, comme cela a été le cas pour l’ancien président algérien Abdelaziz Bouteflika soigné le printemps dernier aux HUG. Malgré leur petit nombre, les opposants camerounais, qui se qualifient de brigades ou de commandos, sont observés de près par les établissements médicaux de la région. Les militants se mettent en scène et diffusent leur traque des officiels sur les réseaux sociaux pour tenter de mobiliser les Camerounais.

En août 2018, les activistes camerounais étaient cette fois aux trousses du ministre de la Santé, qui aurait, lui aussi, préféré consulter à Genève plutôt que dans son pays. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’espérance de vie dans le pays d’Afrique centrale ne dépasse pas 59 ans pour les femmes, et 57 pour les hommes. Le Cameroun dépense 4,1% du PIB pour la santé, un pourcentage presque trois fois moindre qu’en Suisse.

Un régime à bout de souffle

Le régime de Paul Biya, réélu en octobre dernier pour un cinquième mandat, apparaît à bout de souffle. Son challenger, Maurice Kamto ainsi que ses principaux collaborateurs sont derrière les barreaux pour avoir contesté le résultat de la présidentielle et appelé à des manifestations qui ont dégénéré. Le procès de l’opposant est attendu ces prochaines semaines.

Depuis 2017, les provinces anglophones du pays, aux velléités sécessionnistes, sont en proie à un soulèvement armé. Les violences ont chassé de chez eux un demi-million d’habitants et fait 3000 victimes. Même si l’un des leaders anglophones vient d’être condamné à la prison à vie, Paul Biya a annoncé un dialogue national du 30 septembre au 4 octobre dans la capitale Yaoundé pour résoudre la crise. «L’initiative est loin d’inclure toutes les tendances, note le groupe de réflexion de l’International Crisis Group, mais au moins le président Biya reconnaît que le problème ne peut pas être résolu seulement par des mesures sécuritaires.» L’occasion est importante, sinon le Cameroun pourrait sombrer dans une guerre civile, loin des chambres confortables des hôpitaux et cliniques helvétiques.