C’est une première en Egypte, un pays pourtant habitué à la répression de la société civile. Plusieurs représentants d’une ONG respectée, l’Initiative égyptienne pour la défense des droits personnels (EIPR, selon son sigle en anglais), ont été arrêtés mi-novembre. En cause: une rencontre le 3 novembre des responsables de l’ONG avec plusieurs ambassadeurs européens qui aurait énervé les autorités égyptiennes. L’ONG défend les droits des personnes gays, lesbiennes et transgenres ainsi que les minorités religieuses. Elle dénonce aussi le recours à la peine de mort.

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Premier à avoir été arrêté, Mohamed Basheer, directeur administratif de l’EIPR, «a été interrogé sur cette rencontre qui n’avait rien de secret et qui était organisée à l’initiative d’une dizaine d’ambassadeurs de pays européens au Caire», expose Salma el-Hosseiny, du Service international des droits humains, basée à Genève, l’une des ONG qui ont alerté sur le sort de leurs collègues égyptiens.

«Les critiques assimilées au terrorisme»

Parmi les diplomates présents lors de la réunion du 3 novembre, l’ambassadeur suisse au Caire, Paul Garnier. La représentation helvétique a d’ailleurs posté sur les réseaux sociaux une photo de ce briefing dans les locaux de l’ONG. D’autres diplomates ont également fait la publicité de cette rencontre.

Après le directeur administratif, c’était au tour de Karim Ennarah, le responsable juridique, puis du directeur Gasser Abdel-Razek d’être emmenés par la police. Les trois responsables sont accusés d’avoir rejoint une «organisation terroriste» et de «répandre de fausses nouvelles». «Depuis l’arrivée au pouvoir du maréchal Al-Sissi en 2014, toute critique envers les autorités est assimilée à du terrorisme. Les critiques saperaient les institutions au point de menacer l’Etat égyptien d’effondrement, comme en Libye ou en Syrie», explique Salma el-Hosseiny.

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Les trois défenseurs des droits humains ont été placés en détention par un procureur pour quinze jours, un délai renouvelable pendant deux ans, le temps que les prévenus soient enfin jugés. Mais L’EIPR a appris jeudi que la détention de Mohamed Basheer avait été prolongée de quinze jours supplémentaires, alors que l’audience aurait dû se tenir le 29 novembre.

Toujours selon l’ONG, personne n’a pu voir le détenu depuis son arrestation. En revanche, les avocats de Gasser Abdel-Razek ont pu rencontrer leur client le 19 novembre dernier. Le prisonnier s’est plaint d’un traitement inhumain, car il n’avait pas pu sortir une seule fois de sa cellule. On estime que 60 000 détenus sont emprisonnés en Egypte pour des délits d’opinion.

Mais cette nouvelle affaire fait davantage de bruit que d’habitude, en raison de la responsabilité des pays qui ont rencontré l’ONG aujourd’hui dans le collimateur de la justice égyptienne. La France ou l’Allemagne ont exprimé publiquement leur «préoccupation» quant à ces arrestations. La Suisse, elle, brille par sa discrétion.

La Suisse se défend

A Berne, le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) assure avoir «pris toutes les mesures appropriées en étroite coordination avec les autres Etats concernés». La Suisse a plaidé auprès du gouvernement égyptien «pour la libération des personnes détenues». «L’ambassade de Suisse était également présente lors de l’audition des accusés tenue au Caire lundi et a manifesté son soutien aux détenus et à leurs familles», poursuit le DFAE, dans une réponse écrite, restant évasif sur la possibilité d’une dénonciation publique. Berne reconnaît toutefois que les échanges avec la société civile «font partie intégrante du travail diplomatique». «Nous l’avons signalé à l’Egypte», conclut le DFAE.

«Les condamnations verbales ne seront pas suffisantes, estime Salma el-Hosseiny. Ce cas est un test. Le gouvernement égyptien signale qu’il ne se laissera pas faire sur les droits humains au moment où la nouvelle administration américaine risque d’être moins accommodante.» Les ONG plaident en effet pour une remise à plat de la relation privilégiée des pays occidentaux avec le régime égyptien, qui est un partenaire essentiel notamment dans la lutte contre le terrorisme ou la migration vers l’Europe. L’Egypte est aussi l’un des premiers partenaires commerciaux helvétiques sur le continent africain.