El Hadji Gorgui Wade Ndoye, l’Afrique au corps
portrait
AbonnéLe journaliste sénégalais est une voix originale au Palais des Nations. A l’occasion de la Journée de l’Afrique, il raconte son sacerdoce pour faire entendre un continent dans les arcanes de l’ONU. Son Gingembre littéraire s’impose comme référence du débat africain

El Hadji, c’est celui qui a fait le pèlerinage de La Mecque en arabe. Gorgui, c’est l’homme ou le sage en wolof. Wade Ndoye, ce sont ses noms de famille. Mais au Palais des Nations, le siège de l’Organisation des Nations unies (ONU) à Genève, tout le monde l’appelle Gorgui, un mot qui peut aussi se traduire par «le patriarche». Et quand Gorgui s’empare du micro, en conférence de presse, les porte-parole des agences onusiennes savent qu’ils vont devoir s’expliquer. «Pourquoi ne parle-t-on pas de l’Afrique?» ; «L’Afrique, ce n’est pas que la misère!»; «A-t-on pensé aux recettes de l’Afrique?» En vingt-trois ans, El Hadji Gorgui Wade Ndoye s’est imposé comme l’une des voix les plus originales et les plus constantes du biotope de la Genève internationale. Premier et unique journaliste de l’Afrique de l’Ouest accrédité auprès de l’ONU depuis sa création, c’est aussi un Genevois qui a contribué à faire évoluer les mentalités, un citoyen qui a participé à casser les codes racistes jusqu’au sein de la police.
Au détour du paradis
Gorgui a posé ses valises dans la Cité de Calvin le 9 septembre 1999. «C’était le jour du jeûne genevois, se souvient-il. C’est aussi la date de la déclaration de l’Union africaine, qui a succédé à l’Organisation de l’unité africaine née des décolonisations.» Diplômé en langues arabe et anglaise de Gaston Berger, l’université des élites sénégalaises à Saint-Louis, le jeune homme issu de deux lignées d’érudits religieux – les Almaami du côté de sa mère et les Amalamine du côté de son père – choisit Genève pour parfaire ses études. «J’avais une vision paradisiaque de la Suisse. C’était le pays de la liberté, des cultures multiples. Genève était le cœur et le poumon des Nations unies, le lieu où l’on traite de la condition humaine. C’était le laboratoire de la diversité. La diversité, c’est important en Afrique.» C’était aussi la propreté. Gorgui ne prête «pas trop attention aux histoires d’argent sale». Le fils de savant s’inscrit à l’Université de Genève pour des cours d’arabe et d’histoire des religions. Dans le même temps, il étudie l’histoire contemporaine à Paris 8.
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Au détour du paradis, il y a la gare Cornavin. Bientôt il se fait interpeller à l’arrêt du bus F, en pleine rue, soupçonné d’être un trafiquant de drogue. «Dans le bus, tout le monde me regardait. J’ai réalisé qu’ils étaient tous Blancs.» Il relate cette expérience dans un article intitulé «Dur, dur d’être Noir à la gare», qui aura un écho jusqu’à Berne. Quelque temps plus tard, dans les sous-sols de la même gare, chez un photographe qui l’accuse à tort de ne pas vouloir payer le développement d’un négatif, il est maîtrisé par trois policiers dont un l’étrangle. Après un détour par l’hôpital, pour attester de cette violence, rendez-vous chez le commandant de la police pour régler cette affaire «à l’africaine». Les trois policiers sont convoqués, ils s’expliquent, l’auteur du geste reconnaît les faits. Gorgui pardonne. Et ne dépose pas plainte. «Mon intérêt, c’est la vérité.» Mais cette histoire le détruit. Ou plutôt détruit une certaine idée de cette Suisse où «l’on est accueilli avec ses valeurs qui élèvent l’humanité». De son cas personnel, d’un délit de faciès et d’un policier violent, il refuse toutefois de conclure à un racisme généralisé. Tout comme il se bat contre les généralisations à l’égard de l’Afrique. Il participe alors à un documentaire pour Temps présent, le premier en caméra cachée, «Dans la peau d’un Noir», qui révèle le quotidien d’un homme de couleur en Suisse. Il accepte aussi d’intervenir pour un cours de formation policière traitant de droits humains. Pendant quatre ans, il intervient dans la formation des journalistes au Centre romand de formation des journalistes à Lausanne.
Faire vivre la flamme de l’ONU en Afrique
Le 31 décembre 1999, Gorgui est sur la place de Plainpalais. Pour le passage du millénaire, Youssou N’Dour donne un concert. Il relate l’événement pour Le Sud, premier journal privé du Sénégal. Ce sera ses débuts en journalisme. Il couvre dès lors l’actualité du Palais des Nations pour divers médias. En 2000, Abdoulaye Wade est élu à la présidence du Sénégal. C’est la première alternance démocratique. Il incarne un panafricanisme éclairé dans lequel se reconnaît l’étudiant. «Rester ici, c’était accompagner cette transformation, participer au changement du regard de l’Occident sur l’Afrique. Faire vivre la flamme de l’ONU en Afrique.» Il aurait plus d’impact comme journaliste qu’en tant que professeur, en étant à Genève plutôt qu’à Paris ou Dakar. Ce choix se révèle «un sacerdoce pour l’Afrique». Il conçoit son métier comme médiateur entre les peuples. Charismatique, il aurait pu être ambassadeur, peut-être ministre, certains compatriotes lui disent même ici de se présenter en politique, pourquoi pas à la présidence! Il fait le choix de la liberté, moins confortable, mais plus gratifiante. Depuis quelques années, il organise des cafés littéraires, appelés Gingembre littéraire*, à Genève, à Dakar, à Paris. Au fil de leurs éditions, ils gagnent en audience, attirant chercheurs, diplomates, entrepreneurs, ministres et même des présidents pour parler du vivre-ensemble. «A partir de Genève, je crée un pont entre l’Afrique et le reste du monde», dit-il alors que l’on fête ce 25 mai la Journée internationale de l’Afrique.
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* Le prochain Gingembre littéraire, le 30 juin, comprendra deux panels littéraire et économique avec la présence de Mbougar Sarr, Prix Goncourt, et Elgas en collaboration avec Le Club des Investisseurs du Sénégal et la participation de l’architecte Pierre Goudiaby Atepa.
Profil
1971: Naissance au Sénégal.
1999: Arrivée à Genève.
2000: Accréditation comme correspondant auprès de l’ONU.
2004: Création du magazine panafricain ContinentPremier.com.
2019: Création du Gingembre littéraire.