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Fort de son triomphe électoral, le premier ministre doit annoncer son nouveau gouvernement lundi. Il a désormais les coudées franches pour gouverner l’Ethiopie et ses 110 millions d’habitants, second pays le plus peuplé d’Afrique. Une fédération de régions aux tendances centrifuges.
Il est loin le temps où le jeune réformateur, aujourd’hui âgé de 45 ans, recevait le Prix Nobel de la paix 2019 pour son rapprochement avec l’Erythrée. Depuis, l’homme d’Etat prometteur s’est mué en chef de guerre contre la région du Tigré, dans le nord du pays, entrée en rébellion en novembre dernier et qui n’a pas voté.
Pendant la campagne électorale, Abiy Ahmed avait vanté les premières élections libres dans l’histoire du pays. «Il y a eu effectivement des progrès. Certains opposants sont revenus d’exil pour participer aux élections et la commission électorale est perçue comme plus solide qu’auparavant», note William Davison, qui suit les convulsions du pays depuis Nairobi, au Kenya, pour l’International Crisis Group.
«Pas d’adversaires à sa taille»
«Mais le Parti du progrès n’a pas eu d’adversaires à sa taille, poursuit l’analyste, qui fut longtemps basé à Addis-Abeba comme journaliste. Les principaux partis d’opposition, notamment dans la région oromo, la plus peuplée, ont boycotté le scrutin en raison de l’emprisonnement de leurs leaders et du climat d’intimidation».
«Ces élections étaient des pas imparfaits dans la bonne direction. L’espace démocratique n’a jamais été aussi large ainsi que le nombre de votants», rétorque Kitaw, fondateur du Network of Ethiopians in Geneva Action Taskforce (Negat), une association qui se dit «non partisane» mais qui est proche du gouvernement d’Addis-Abeba.
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Que va maintenant faire Abiy Ahmed de sa victoire? William Davison n’est pas très optimiste sur un apaisement du conflit au Tigré, qui s’est propagé ces dernières semaines au-delà de la région rebelle. «Les troupes fédérales et les milices alliées recrutent massivement, et les rebelles tigréens, en attaquant les régions voisines d’Amhara et d’Afar, veulent desserrer le siège qu’ils subissent et forcer le gouvernement à négocier», s’inquiète-t-il. Selon lui, «cette guerre reste populaire dans le pays, à cause du ressentiment contre les Tigréens qui ont longtemps régné sans partage sur l’Ethiopie avant l’arrivée au pouvoir d’Abiy Ahmed».
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Dans l’entourage d’Abiy Ahmed, l’idée d’une négociation n’a pas le vent en poupe, en particulier parmi ses alliés amharas qui ont des contentieux territoriaux avec le Tigré. Un conseiller du président a ainsi déclaré il y a dix jours que les rebelles du Front de libération du peuple du Tigré (TPLF) devaient être «éradiqués». «Seul le coût du conflit pourrait faire changer d’avis l’élite au pouvoir», pointe William Davison, alors que la croissance économique du dragon africain a ralenti, aussi à cause de la pandémie, et que les réformes de son premier ministre se sont enlisées.
Pas de négociations avec les «terroristes»
Depuis Genève, Kitaw veut croire au dialogue national envisagé par le premier ministre. Mais, poursuit-il, «je ne pense pas qu’il soit question de convier le TPLF tant qu’il ne baissera pas les armes. C’est un groupe déclaré terroriste par le parlement éthiopien et les récentes atrocités contre les civils dans les régions de l’Amhara et de l’Afar l’ont confirmé», insiste Kitaw. Ce membre de la diaspora dénonce «la politique des deux poids deux mesures des Etats-Unis et des Européens, qui dénoncent des exactions de l’armée éthiopienne basées sur des allégations alors que des enquêtes avec l’ONU sont en cours. Mais ces critiques ferment les yeux sur les crimes du TPLF, qui se vante d’avoir recruté des enfants soldats.»
«La guerre est sale et les Ethiopiens sont les premiers à l’avoir en horreur mais des atrocités sont commises dans les deux camps», conclut Kitaw. Addis-Abeba est en effet très susceptible quant aux critiques internationales. L’ONU dénonce de façon de plus en plus véhémente le blocage de l’aide humanitaire à destination du Tigré et les menaces de famine qui se précisent. Réponse cinglante du gouvernement éthiopien: l’expulsion annoncée jeudi de neuf responsables onusiens. L’apaisement n’est pas encore pour demain.