Corne de l’Afrique
En cette Journée internationale de prévention contre le génocide, des voix s’élèvent pour mettre en garde contre ce risque en Ethiopie. Après une année de combats et de massacres, le conflit a débordé des frontières du Tigré et personne ne se risque à en prédire l’issue

Après le génocide contre les Tutsis au Rwanda, la communauté internationale avait proclamé «plus jamais ça». Mais, en ce jeudi 9 décembre, journée de prévention de ce «crime des crimes», les nuages s’amoncellent au-dessus de l’Ethiopie. Le second pays le plus peuplé d’Afrique et mosaïque de peuples menace de partir en lambeaux après plus d’une année de guerre et de massacres dans le nord.
«La principale leçon à tirer du Rwanda est que ce génocide était évitable mais que le monde a échoué par manque de volonté politique. Nous vous alertons parce que les Nations unies ne semblent pas avoir retenu cet enseignement», écrivaient une soixantaine d’ONG et activistes africains au secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres fin novembre.
A ce moment, tous les signaux d’alarme étaient selon eux au rouge en Ethiopie. «Une armée rebelle principalement définie par des caractéristiques ethniques marche sur Addis-Abeba, le régime en appelle à une identité étroite et programme la population à une campagne d’extermination au nom de l’autodéfense, le gouvernement distribue des armes aux quartiers et à des milices populaires et des milliers de citoyens, presque exclusivement Tigréens, ont été internés en vertu de l’état d’urgence qui vient d’être décrété», énuméraient ces signataires.
De l’huile sur le feu
Ces derniers jours, les craintes sont loin d’être dissipées même si ce tableau apocalyptique s’est atténué. Mercredi, le premier ministre éthiopien Abiy Ahmed, est revenu du front où il était parti pour organiser la défense de la capitale. Les rebelles tigréens ont reculé, évoquant «un retrait stratégique». Alors que la guerre se déroule à l’abri des regards extérieurs, il est difficile de déterminer si l’étau autour de la capitale a été desserré suite à des combats importants.
La guerre fait aussi rage sur le terrain de l’information. Les réseaux sociaux sont pointés du doigt pour héberger des déclarations mettant de l’huile sur le feu. Début novembre, la conseillère du secrétaire général de l’ONU, la Kenyane Alice Wairimu Nderitu, appelait les géants technologiques à agir. Elle a en partie été entendue. Facebook a, par exemple, supprimé un message d’Abiy Ahmed appelant les Ethiopiens à prendre les armes pour «enterrer» leurs ennemis. Twitter a quant à lui suspendu certaines de ses fonctionnalités en Ethiopie pour éviter les phénomènes de meute. Des comptes accusés de diffuser des contenus haineux ont aussi été désactivés.
Le gouvernement éthiopien a estimé que ces mesures visaient davantage ses soutiens. Il en voit une preuve supplémentaire de l’opposition occidentale à son égard. En difficulté, le premier ministre éthiopien tire sur la corde nationaliste. Il dénonce aussi le fait que la notion de génocide est instrumentalisée par les rebelles tigréens. Ces derniers affirment que leur communauté – 6% de la population éthiopienne – est victime d’un tel crime.
Crimes de guerres
Début novembre, le gouvernement d’Addis Abeba s’est d’ailleurs réjoui que le Haut-Commissariat aux droits de l’homme de l’ONU ait écarté le terme de génocide pour qualifier les atrocités commises depuis une année dans la région du Tigré, principalement par l’armée éthiopienne et ses alliés érythréens. L’ONU a conclu à des crimes de guerre voire contre l’humanité.
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Mais cette enquête onusienne a laissé les défenseurs des droits humains sur leur faim. Pour pouvoir accéder au Tigré, l’ONU a dû accepter d’être accompagnée par la commission éthiopienne des droits de l’homme, affiliée au gouvernement. Les enquêteurs n’ont pas pu se rendre partout. Et, depuis cette mission, le conflit s’est étendu bien au-delà du Tigré. L’ONU dénonce le fait que tous les camps commettent des atrocités.
«Une enquête indépendante»
«Il faut un mécanisme international réellement indépendant qui puisse enquêter sur les violations commises par toutes les parties», plaide Nicolas Agostini, représentant à Genève de l’ONG africaine Defend the defenders (défendre les défenseurs des droits humains). Fin novembre, une vingtaine d’ONG, dont Amnesty International et Human Rights Watch, ont réclamé que se tienne une session spéciale du Conseil des droits de l’homme, basé à Genève, qui serait habilitée à créer un tel mécanisme. Ces ONG ne prononcent pas le mot génocide qui implique la planification de l’extermination d’une partie de la population sur des bases ethniques. Difficile à détecter, une telle accusation polariserait encore les fronts.
La guerre dans la Corne de l’Afrique a des répercussions jusqu’en Suisse, via la diaspora éthiopienne et érythréenne, elle aussi de plus en plus divisée. Si l’ONU se penche sur ce conflit, les deux camps donneront à nouveau de la voix à Genève. Un tiers des Etats membres du Conseil des droits de l’homme doivent être convaincus pour tenir une session spéciale. Les ONG ont bon espoir d’y parvenir avant Noël. Une démarche qui pourrait contribuer à freiner les jusqu’au-boutistes quel que soit leur camp, et qui apporterait des faits permettant de freiner la diffusion de la propagande.