Faustin-Archange Touadéra: «En Centrafrique, les groupes armés remplissent le vide»
Interview
Président de la République centrafricaine depuis mars 2016, Faustin-Archange Touadéra a pour priorité la lutte contre l’impunité à travers la Cour pénale spéciale. Il mise aussi sur la justice transitionnelle. Le chef de l’Etat craint par ailleurs que son pays ne soit pas prêt à affronter une épidémie d’Ebola

Nous sommes en 2013. De violents affrontements éclatent dans la capitale Bangui entre l’ex-Séléka, une coalition à coloration musulmane formée de plusieurs mouvements de rébellion du nord, et des milices «anti-balaka» d’obédience chrétienne. Vacillant déjà depuis sa réélection en 2011, le président de la République centrafricaine (RCA) François Bozizé est renversé. Coup d’Etat. Le chaos s’installe poussant le Conseil de sécurité de l’ONU à adopter une résolution autorisant les forces françaises à intervenir dans le cadre de l’opération Sangaris.
Ce même Conseil crée la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation en République centrafricaine (Minusca). En août 2017, l’ONU met toutefois en garde contre les «signes avant-coureurs de génocide». Depuis qu’il a accédé au pouvoir en mars 2016, le président Faustin-Archange Touadéra, un ex-professeur de mathématiques, tente de remettre de l’ordre dans le pays. Venu s’exprimer devant le Bureau international du travail à Genève, il a reçu Le Temps.
Le Temps: La RCA demeure très instable. Menaces de descente de groupes armés sur Bangui, ONG pillées, affrontements intercommunautaires. Comment interrompre le cycle de la violence?
Faustin-Archange Touadéra: Lors du Forum de Bangui de février 2016 où ont été tracées les grandes lignes de l’actuelle Constitution de la Centrafrique, le peuple a été consulté. Il s’est prononcé à l’unanimité en faveur de la lutte contre l’impunité. Depuis 2003, la crise que nous traversons n’a jamais été aussi profonde. Les fondamentaux de l’Etat et l’unité du pays ont été mis à mal. On a vite donné à la crise une dimension confessionnelle.
Entre les groupes armés de l’ex-Séléka de tendance musulmane et les milices chrétiennes anti-balaka, il n’y a pas de problèmes confessionnels?
De mémoire de Centrafricains, la religion n’a jamais été une préoccupation. Si nous étions confrontés à une crise confessionnelle, il n’y aurait pas eu création d’une plateforme par des responsables religieux pour engager une réconciliation nationale et promouvoir la liberté de culte. La laïcité, ancrée dans la Constitution, n’a jamais été un problème. Mais c’est vrai: il y a des gens qui, par intérêts politiques ou financiers, choisissent de jouer la carte confessionnelle. La presse elle-même n’a pas joué un rôle constructif, exacerbant les tensions.
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Avez-vous encore un soutien substantiel de la France?
En 2013, le président français François Hollande a œuvré pour créer la Minusca. La France a été la première à déployer des troupes à travers la force Sangaris. C’est grâce à elle qu’on a pu mettre fin aux violences extrêmes. Le départ de la mission Sangaris fut prématuré. Nous l’avons dit. Mais la France continue de nous soutenir en formant un bataillon de l’armée, des gendarmes et policiers. Nous comptons encore sur elle pour nous sortir définitivement de cette période difficile. Mais aussi sur la mission EUTM de l’Union européenne qui forme nos futurs soldats depuis juillet 2016.
Vous auriez aimé un soutien plus musclé des Casques bleus. Avez-vous été entendu?
Nous l’avons répété à plusieurs reprises aux Nations unies. La force Sangaris est partie. Les deux contingents de la République démocratique du Congo et du Congo-Brazzaville, les forces ougandaises ainsi que la task force américaine qui combattaient l’Armée de résistance du Seigneur (LRA, de Joseph Kony) ont quitté le pays. A chaque départ, il y a un appel d’air. Les groupes armés remplissent le vide.
La crise s’est étendue à tout le pays et la Minusca a vu son champ d’action élargi. En raison notamment de l’embargo sur les armes imposé par le Conseil de sécurité, nos forces de défense ne sont plus opérationnelles. C’est pourquoi nous avons demandé un renforcement de la Minusca, la seule capable de couvrir l’ensemble du territoire. Le Conseil de sécurité a accepté d’augmenter son contingent de 900 hommes. Nous aimerions cependant que ce processus s’accélère.
Avec un système judiciaire presque inexistant, comment comptez-vous lutter contre l’impunité?
Le Conseil national de transition a voté la création de la Cour pénale spéciale (CPS). Dès mon entrée en fonction, nous avons agi pour qu’elle voie le jour. La loi de procédure pour la CPS a été adoptée à la fin mai et va permettre à la cour de commencer à travailler. Les magistrats (nationaux et internationaux) et le procureur spécial sont prêts. Il reste un problème de financement. L’Union européenne et la Banque mondiale nous aident dans ce sens.
Et la justice transitionnelle?
A côté de la Cour pénale, mon gouvernement développe un programme de justice transitionnelle, une Commission vérité et réconciliation. Ce dispositif devrait permettre à la population et aux différentes communautés de se parler et de régler plusieurs problèmes qui les divisent. Nous comptons nous appuyer sur les expériences faites en la matière dans d’autres pays avec le soutien de l’UE, de l’ONU et de l’Union africaine.
L’omniprésence de groupes armés en République centrafricaine demeure toutefois un obstacle majeur.
Nous avons identifié quatorze groupes armés. Or, lors des discussions du Forum de Bangui, il y a eu un accord sur le processus à suivre que la plupart des groupes armés ont signé et par lequel ils promettent de désarmer. Je souhaiterais que ce processus de désarmement s’accélère. Selon notre stratégie, certains éléments de ces groupes sont réintégrés dans des activités économiques et civiles, d’autres sont incorporés dans l’armée. Des centaines de miliciens ont ainsi été formés et sont devenus partie intégrante des forces armées centrafricaines (FACA). Deux groupes armés n’ont toutefois pas souhaité participer à ce processus.
Vous êtes venu à Genève pour parler emploi au Bureau international du travail. Quel message avez-vous voulu faire passer?
Le problème de l’emploi en Centrafrique est au cœur de la résolution de la crise qui découle d’un problème de développement. Beaucoup de jeunes n’ont pas de travail. Il faut leur redonner espoir. Embrigadés dans les groupes armés, ils sont les principaux acteurs de la crise, mais ils en sont aussi la solution. Nous travaillons à améliorer le climat des affaires en créant des guichets uniques permettant de créer une entreprise dans les 48 heures, mais aussi à dynamiser la fiscalité et à améliorer la sécurité juridique des investissements.
L’OMS vous a demandé d’être sur vos gardes. Une épidémie d’Ebola en RDC voisine pourrait toucher la Centrafrique…
Je viens d’en parler mercredi à Genève avec le directeur général de l’OMS Tedros Adhanom Ghebreyesus. L’endroit où s’est déclarée l’épidémie d’Ebola est très proche de notre frontière. Seul un cours d’eau nous sépare. Il y a une vraie promiscuité. Les faiblesses de notre système de santé, les difficultés économiques, des problèmes d’analphabétisme et de comportements culturels rendraient une riposte compliquée. C’est pourquoi nous demandons à l’OMS et à d’autres organismes de nous aider en amont à améliorer notre état de préparation. Car si un cas devait se déclarer en Centrafrique, la situation pourrait être extrêmement grave.