Terrorisme
Les enquêteurs de l’ONU estiment que l’armée française a visé un mariage le 3 janvier 2021, faisant une majorité de victimes civiles. Paris s’accroche à sa version des faits

La version française à propos d’une frappe aérienne qui a fait des dizaines de morts au Mali début janvier vacille. Mardi, la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma) a publié un rapport détaillé d’une trentaine de pages sur l’enchaînement des événements du 3 janvier 2021. Ce jour-là, l’armée française, qui lutte contre les groupes djihadistes dans ce pays du Sahel depuis 2013, assure avoir visé un groupe «d’une quarantaine d’hommes armés dans une zone isolée» après un minutieux travail de renseignement.
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La division des droits de l’homme de la mission onusienne au Mali dément cette présentation des faits à laquelle Paris continue de s’accrocher. Une mission d’une quinzaine de personnes a enquêté de janvier à fin février. Le 25 janvier, protégée par les Casques bleus, elle s’est rendue dans le village visé de Bounty, dans le centre du Mali, où opèrent de nombreux groupes armés. L’équipe comprenait deux membres de la police scientifique de l’ONU. Elle a procédé à des centaines d’entretiens individuels ou groupés. Une partie des interviews ont été menées par téléphone.
«La protection des témoins et les potentiels risques d’interférence ont été considérés et ont emmené l’équipe à relocaliser certains d’entre eux pour leur sécurité et d’autres réticents à témoigner librement. Chaque témoignage a fait l’objet de vérification», peut-on lire dans le rapport.
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Une majorité de civils tués, selon l’ONU
L’ONU confirme les nombreux témoignages récoltés jusqu’ici. C’est bien un mariage qui a été la cible de l’armée française. Selon les enquêteurs onusiens, la célébration avait rassemblé ce jour-là une centaine d’habitants, 1 kilomètre à l’extérieur du village. Dans l’assistance, il y avait effectivement plusieurs membres de la Katiba Serma, un groupe armé affilié à Al-Qaida. L’ONU arrive à la conclusion que ces combattants étaient au nombre de cinq, un seul portant ostensiblement une arme. Mais les experts n’ont retrouvé aucune trace d’armements détruits ou des motos qui auraient été utilisées par le groupe armé, selon la version de l’armée française.
Toujours selon ce rapport, au moins 22 personnes ont été tuées par le bombardement français. Parmi elles figuraient trois membres présumés de la Katiba Serma. Toutes les victimes sont des hommes âgés de 23 à 71 ans. Cela s’explique par le fait que les femmes et les enfants sont traditionnellement séparés pendant de telles célébrations. Au moins huit autres civils ont été blessés.
La conclusion de la mission de l’ONU est cinglante vis-à-vis de l’armée française: «Le groupe touché par la frappe était très majoritairement composé de civils qui sont des personnes protégées contre les attaques au regard du droit international humanitaire. Cette frappe soulève des préoccupations importantes quant au respect des principes de la conduite des hostilités, notamment le principe de précaution dont l’obligation de faire tout ce qui est pratiquement possible pour vérifier que les cibles sont bien des objectifs militaires.»
«Témoignages locaux invérifiables», selon Paris
L’ONU ne va toutefois pas jusqu’à qualifier ce qui apparaît de plus en plus comme une bavure et pourrait relever d’un crime de guerre. La mission au Mali recommande pour cela des enquêtes plus approfondies, notamment pour déterminer si des précautions suffisantes avaient été prises avant de déclencher la frappe. Le cas échéant, la France devrait aussi indemniser les victimes, est-il suggéré dans le rapport onusien.
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La réaction de la France ne s’est pas fait attendre. Dans un communiqué relayé par l’AFP, le Ministère français des armées a émis «de nombreuses réserves» sur le rapport des Nations unies. Cette enquête «oppose des témoignages locaux non vérifiables et des hypothèses non étayées à une méthode de renseignement robuste des armées françaises, encadrée par les exigences du droit international humanitaire», rétorque le ministère, qui juge dans ce contexte «impossible de distinguer les sources crédibles des faux témoignages d’éventuels sympathisants terroristes ou d’individus sous influence (y compris la menace) des groupes djihadistes».