Cybersécurité
Le royaume est accusé d’être l’un des pays les plus friands du logiciel espion israélien Pegasus et il est obsédé par le contrôle du Sahara occidental. A Genève, place forte de la défense de la cause sahraouie, on s’interroge

L’Algérie a exprimé, jeudi, sa «profonde préoccupation» à la suite de révélations selon lesquelles le Maroc aurait eu recours au logiciel israélien Pegasus pour espionner «des responsables et citoyens algériens». «L’Algérie condamne vigoureusement cette inadmissible atteinte systématique aux droits de l’Homme et libertés fondamentales qui constitue également une violation flagrante des principes et normes régissant les relations internationales», affirme le ministère des Affaires étrangères dans un communiqué, dénonçant une «pratique illégale, malvenue et dangereuse». Le pays se réserve le droit de «mettre en oeuvre sa stratégie de riposte».
A ce stade, ce ne sont que des suppositions. A Genève, plusieurs défenseurs des Sahraouis, qui revendiquent leur autodétermination depuis des décennies face aux prétentions du Maroc, craignent d’avoir été espionnés par Rabat. En effet, selon les révélations du consortium des médias et ONG qui se sont penchés sur l’utilisation du logiciel espion Pegasus, le Maroc est très friand de cette technologie vendue par la firme israélienne NSO.
Dans sa stratégie d’intrusion numérique, le Maroc vise large: des journalistes marocains critiques du pouvoir – certains d’entre eux purgent d’ailleurs des peines de prison – mais aussi des hommes politiques étrangers, comme le président français Emmanuel Macron et plusieurs de ses ministres. Les espions marocains surveillent aussi jusque dans l’entourage du roi, même si Rabat a nié «catégoriquement» utiliser Pegasus, qualifiant les informations publiées cette semaine d’«infondées». Jeudi, le royaume est allé plus loin dans les dénégations. Il a annoncé son intention de porter plainte contre les ONG Amnesty International et Forbidden Stories, qui ont eu accès grâce à une fuite à une liste de 50 000 numéros de téléphone sélectionnés par plusieurs clients de NSO.
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A Genève, une histoire inquiète particulièrement les défenseurs des Sahraouis. Racontée par Le Monde, l’un des médias partenaires du consortium, elle montre que le Maroc a tenté d’infecter le téléphone portable d’un maire de la région parisienne, dont la commune discutait d’une subvention de 5000 euros pour les enfants sahraouis. «Cela montre que beaucoup d’entre nous peuvent être concernés», s’interroge Christiane Perregaux, membre du comité suisse de soutien aux Sahraouis.
Un lieu stratégique
Pour les Sahraouis, Genève est un lieu plus stratégique qu’Ivry-sur-Seine. A l’ONU, le Maroc croise régulièrement le fer avec les activistes sahraouis. Depuis qu’il a pris le contrôle du territoire depuis la fin des années 1970, Rabat revendique sa souveraineté et le sujet est un tabou dans le royaume.
Les années passant, une dizaine de pays ont fini par reconnaître les prétentions marocaines. Parmi eux, les Etats-Unis de Donald Trump, qui ont fait ce geste l’an dernier en échange du rétablissement des liens diplomatiques entre Israël et le Maroc. Les bonnes relations entre Rabat et Tel-Aviv expliquent aussi pourquoi le royaume chérifien bénéficie des services sensibles de la firme israélienne NSO.
«Toujours une longueur d’avance»
Les Sahraouis réclament, eux, un référendum d’autodétermination, promis depuis 1991 par l’ONU. Le conflit s’est rallumé l’an dernier entre le Maroc et le Front Polisario, le bras armé des Sahraouis. A Genève, comme à New York, les Sahraouis ont un bureau, représentation diplomatique informelle. La représentante du Front Polisario à Genève, Omeima Abdeslam, n’est pas certaine qu’elle a été espionnée par le Maroc. Le porte-parole du mouvement pour l’Europe, Oubi Bouchraya, figure, quant à lui, sur la liste des personnalités visées, toujours selon Le Monde. «Le Maroc a toujours une longueur d’avance, par exemple en parvenant à faire annuler une de nos conférences sur le Sahara occidental ou en réussissant à parler juste avant nous et après nous à la tribune de l’ONU», soupçonne Omeima Abdeslam.
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Coordinateur à Genève d’un réseau d’ONG pour la protection et la promotion des droits humains au Sahara occidental, Gianfranco Fattorini constate aussi l’activisme du Maroc pour rejeter les accusations de répression dans le territoire contesté. «Personnellement, je vais faire des démarches pour être sûr que mon téléphone n’est pas infecté. Mais, malgré tous les pare-feux, il y aura toujours des failles et il ne faut pas trop s’en préoccuper», déclare-t-il, fataliste.
«Une surveillance très ciblée»
«Nous recevons beaucoup de demandes, y compris en Suisse, de personnes qui se demandent si elles ont été visées, confirme Lukas Hafner, spécialiste de cybersécurité à Amnesty International. Mais on estime que surveiller quelqu’un avec ce logiciel coûte 25 000 francs. Il s’agit donc d’une surveillance très ciblée.» Il existe un outil en ligne pour faire les vérifications soi-même, mais son utilisation n’est pas aisée.
Parmi les 50 000 numéros de cibles potentielles consultées par Amnesty International et Forbidden Stories, seuls une très petite minorité ont été analysés de façon indépendante pour repérer une infection suspecte. Difficultés supplémentaires, le logiciel Pegasus efface les traces de l’intrusion et, pour être sûr d’avoir été visés, les propriétaires des portables doivent accepter de laisser leur appareil le temps de l’examen. Les ONG ont aussi découvert que des serveurs en Suisse ont servi pour les intrusions avec ce logiciel Pegasus, sans pouvoir déterminer si des numéros helvétiques ont été visés.