Afrique
Une centaine d’hommes en uniformes, portant pour beaucoup l’insigne de la garde personnelle du président Salva Kiir, ont pris d’assaut le 11 juillet un complexe occupé par des expatriés. Des femmes ont été violées et plusieurs hommes sévèrement battus sans que les Casques bleus stationnés à proximité ne prennent la peine d’intervenir

Le pire semblait passé à Juba, la capitale du Soudan du Sud. En ce lundi 11 juillet, après trois jours de combat, les forces du président Salva Kiir avaient pratiquement chassé de la ville celles de son vieux rival Riek Machar. Et dans le complexe de l’hôtel Terrain, un vaste établissement réservé aux expatriés et à l’élite locale, chacun s’apprêtait à passer enfin une après-midi tranquille. C’est alors que de nouveaux coups de feu ont retenti et qu’entre 80 et 100 hommes en uniforme ont défoncé le portail d’entrée.
Les gardes de l’hôtel étaient trop légèrement armés pour opposer la moindre résistance à une troupe aussi nombreuse. Les intrus en ont profité pour s’emparer des lieux et piller tout ce qui leur tombait sous la main, argent, clés de voiture, téléphones, ordinateurs. Puis ils sont partis à la recherche des résidents.
Une face de tigre
Les travailleurs humanitaires présents sur le site s’étaient barricadés à la première alerte. Mais les portes de leurs logements n’ont pas tenu longtemps devant la furie des nouveaux venus, dont beaucoup portaient une tenue camouflage et, placée dessus, une face de tigre, l’insigne de la garde personnelle du président. Un témoin américain se souvient: «Ils étaient très excités, complètement ivres, sous l’influence de quelque chose, dans un état de quasi-folie, marchant de long en large et faisant feu n’importe comment.»
Les militaires se sont saisis de l’Américain pour le battre pendant près d’une heure à coups de ceinture et de crosse de fusil, tout en s’amusant à tirer dans sa direction pour loger des balles à quelques centimètres de ses pieds et de sa tête. Puis un soldat qui paraissait jouir d’une certaine autorité sur ses acolytes l’a libéré en l’invitant à raconter à son ambassade comment il avait été traité.
Les pires traitements
Dans leur élan, les assaillants ont investi un bâtiment de deux étages occupé par une dizaine d’expatriés. Des travailleurs humanitaires auxquels ils ont réservé les pires traitements, battant sévèrement les hommes et violant les femmes à de multiples reprises. Au terme de l’après-midi, les captifs ont été sommés de se placer en demi-cercle et d’écouter une longue harangue accusant pêle-mêle les Etats-Unis et les Nations unies d’aider la rébellion et de semer le désordre au Soudan du Sud.
Un journaliste d’un média local financé par les Etats-Unis a été également arrêté. Or, pour son plus grand malheur, il portait sur son visage les scarifications propres aux Nuer, le peuple de Riek Machar, en révolte contre les Dinka de Salva Kiir. L’homme qui s’était réfugié dans le complexe de l’hôtel Terrain après avoir été détenu, puis libéré, par les forces présidentielles, était condamné. Il a été battu aux yeux de tous avant de périr de deux balles dans la tête.
Un calvaire de quatre heures
Le calvaire des humanitaires a duré plus de quatre heures, jusqu’à ce que l’intervention d’un contingent officiel de l’armée sud-soudanaise et d’une société privée de sécurité dénoue la situation. Plus de quatre heures durant lesquelles la Mission des Nations unies au Soudan du Sud (MINUSS), rapidement informée de l’attaque, n’a pas jugé bon de mobiliser les Casques bleus dont elle disposait à proximité. Une passivité que l’organisation américaine Human Rights Watch a fermement dénoncée lundi dans un rapport. Ce d’autant que les «soldats de la paix» n’ont pas seulement abandonné à leur sort les expatriés de l’hôtel Terrain mais qu’ils ont pris l’habitude de laisser les pires exactions se perpétrer à leurs portes. Au plus fort des violences, le 10 juillet, il leur a fallu par exemple plus de six heures pour ouvrir l’une de leurs bases à des civils terrorisés.
Un silence pesant a entouré l’attaque de l’hôtel Terrain pendant plus d’un mois. Jusqu’à ce que l’agence américaine Associated Press et l’organisation Human Rights Watch ne révèlent le drame au monde ce lundi. Sur place cependant, nul ne l’ignorait.
«Une ampleur considérable»
«Nous avons été profondément choqués par ces exactions, avoue le chef de la délégation du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) à Juba, Jürg Eglin. Il s’agit d’un acte très grave qui nous cause beaucoup de souci. Il est essentiel cependant de replacer cet événement dans une perspective plus large, soit dans le contexte de la guerre civile sud-soudanaise. Les violences sexuelles représentent depuis longtemps, ici, une arme de guerre. Mais le phénomène a pris depuis deux ans une ampleur considérable et touche désormais un nombre incalculable de femmes.»
Comment l’expliquer? Jürg Eglin dénonce «une dégradation générale de la discipline chez les hommes en armes». «Nous menons un dialogue régulier avec les deux parties au conflit pour rappeler l’importance de respecter les civils, les femmes en particulier. Mais les chaînes de commandement se révèlent extrêmement fragiles aussi bien dans l’armée que dans la rébellion. Et la situation sur le terrain est de pire en pire, pendant comme après les combats.»
En juillet, au plus fort des affrontements, le CICR a «relocalisé» une partie de ses employés à Entebbe, en Ouganda. Pour le reste, il compte sur les relations étroites qu’il a patiemment entretenues avec les belligérants, ainsi que sur la solidité de ses installations pour assurer la sécurité de son personnel. «La situation est délicate, reconnaît Jürg Eglin. Mais il nous est encore possible de mener des activités humanitaires au Soudan du Sud.»