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Jacob Zuma ou la chute d’un dirigeant corrompu et incompétent

Traditionaliste sans éducation, Jacob Zuma est arrivé au pouvoir comme porte-voix des mécontents. Il a profité de ses hautes fonctions pour enrichir son entourage jusqu’à s’attirer les foudres de son parti

Jacob Zuma lors de son adresse à la nation, 14 février 2018. — © STR
Jacob Zuma lors de son adresse à la nation, 14 février 2018. — © STR

«Les enquêtes ont montré des preuves évidentes d’un pillage systématique (des ressources de l’Etat) par des réseaux de patronage liés au président Zuma, qui a trahi l’idéal de Nelson Mandela», constatait récemment la Fondation Nelson Mandela. Le sort de Zuma, 75 ans, rappelle celui de Robert Mugabe, forcé à la démission par son propre parti. Comme son homologue zimbabwéen, il a témoigné d’une pugnacité remarquable. «Je ne sais pas comment il a pu être aussi stoïque face aux attaques incroyables qu’il a subies», confie l’ancien ministre Ebrahim Ebrahim, son ami depuis qu’ils ont été dans la même cellule à Robben Island dans les années 1960.

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Dans une rare interview en décembre dernier, le chef de l’Etat avait évoqué une campagne orchestrée (contre lui) depuis les années 1990 par deux agences internationales, «qui ont toujours essayé de ternir mon image. C’est pour cela que j’ai toujours été soucieux d’apporter une contribution positive à mon pays.»

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En 2009, une réputation entachée

Quand Zuma a entamé son premier mandat en 2009, sa réputation était déjà entachée. Il avait été acquitté lors d’un procès pour viol en 2006 et limogé de son poste de vice-président pour une affaire de corruption impliquant la firme française Thales. Zuma risquait la prison.

Pour y échapper, l’ex-chef des services secrets de l’ANC s’est posé en victime d’une conspiration ourdie par le président Thabo Mbeki. Il a rassemblé une «coalition de mécontents», écœurée par la politique néolibérale de ce dernier. L’homme de Nkandla (son village natal au KwaZulu-Natal) était certes un traditionaliste sans éducation, polygame et père de 22 enfants, mais il était réputé comme un homme à l’écoute de tous. Reprenant un vieil hymne de l’ANC, «Umshini Wami» («Apporte-moi ma mitraillette»), il promettait de ramener le parti à ses racines, proches du peuple.

Puis, rattrapé par un scandale

L’inculpation de Zuma dans l’affaire Thales avait été inopinément annulée pour interférence politique, peu avant son intronisation. Mais le nouveau président a vite été rattrapé par un nouveau scandale: les travaux d’embellissement de sa résidence privée à Nkandla, facturés 20 millions d’euros aux contribuables. «Rendez-nous l’argent!» est devenu le leitmotiv des «Combattants pour la liberté économique» de Julius Malema, qui ont chahuté tous ses discours au parlement. Mais fort du soutien de l’ANC, le «président Teflon» (sur lequel glissent toutes les attaques) s’est longtemps contenté de rire et de clamer son innocence face aux attaques, tout en multipliant les manœuvres de diversion pour gagner du temps. En 2016, un arrêt de la Cour constitutionnelle a mis fin à la partie, en le forçant à obéir à la médiatrice de la République, Thuli Madonsela, qui lui avait ordonné de rembourser un demi-million d’euros.

Les «Zupta» et leurs juteux contrats

Nkandla n’était qu’une entrée en matière. Le plat principal fut les «Zupta», pour reprendre l’acronyme inventé par Malema pour décrire les liens corrompus entre le chef de l’Etat et les trois frères Gupta, associés en affaires à Duduzile Zuma, un fils du président. Débarqués d’Inde en 1993, les Gupta ont raflé de juteux contrats publics et nommé eux-mêmes plusieurs ministres et responsables de sociétés publiques, convoqués à leur domicile à Johannesbourg. Le choix d’un illustre inconnu, Des Van Rooyen, comme grand argentier fin 2015 a été l’erreur à ne pas commettre. Devant la panique des marchés, Zuma a été forcé par la direction de l’ANC de rappeler aux Finances l’incorruptible Pravin Gordhan. Limogé en mars 2017, ce dernier n’a cessé de dénoncer l’emprise des Gupta qui, selon lui, auraient bénéficié de 500 millions d’euros de transactions suspicieuses en quatre ans.

Incapable de lire un nombre élevé de chiffres sans trébucher, Zuma n’était plus seulement un sujet de risée sur les réseaux sociaux. Depuis deux ans, les appels à la démission s’étaient multipliés, y compris au sein de l’ANC, qui craignait de perdre les élections de l’an prochain si Zuma restait au pouvoir. Pour se protéger lui-même et sa clique (qui comprend aussi des gangsters notoires, comme l’a révélé le récent livre du journaliste Jacques Pauw), le chef de l’Etat a démantelé les services d’enquêtes au sein de la police, du parquet et des impôts.

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Le souci de l'héritage

L’économie sud-africaine, en berne, a aussi subi les conséquences de cette «capture de l’Etat», pour reprendre le titre du rapport sur les Gupta publié en 2016 par Thuli Madonsela. Les investissements dans le secteur minier, par exemple, ont chuté de moitié en huit ans. Et pourtant, Zuma n’a cessé de faire pression sur son gouvernement pour qu’il approuve l’achat de huit centrales nucléaires à la Russie. «Zuma voulait finaliser l’accord avec Moscou et pérenniser la gratuité de l’enseignement supérieur qu’il a annoncée en décembre, sans consulter personne, affirme le politologue Mark Swilling. C’est à la fois un homme soucieux de laisser un héritage et un homme terrifié.»

Jacob Zuma risque d’être réinculpé dans l’affaire sur les pots-de-vin payés par la société Thales. L’ancien président sera aussi convoqué par la commission judiciaire, qui va enquêter sur les malversations des Gupta.