Khaled Drareni, sous les verrous à l'ombre de la pandémie
Algérie
Le pouvoir algérien tire-t-il profit de la crise sanitaire mondiale pour continuer d’étouffer l’opposition? Le cas du journaliste Khaled Drareni, détenu depuis près de quatre mois

Jusqu’ici, rien n’y a pu. Ni les appels internationaux, ni la pandémie, ni les grâces présidentielles qui ont accompagné la date anniversaire de la fête nationale algérienne, le 5 juillet: incarcéré fin mars, le journaliste Khaled Drareni continue de séjourner en prison depuis bientôt quatre mois, privé de toute visite de ses proches, au motif qu’il se serait rendu coupable d’«incitation à attroupement non armé» et d’«atteinte à l’intégrité du territoire national».
Très populaire auprès des jeunes Algériens notamment, devenu aussi une voix importante à l’étranger dans ce pays largement verrouillé pour la presse étrangère, Khaled Drareni s’est aussi transformé à son corps défendant en un symbole du chemin qu’a emprunté le pays, alors que les militants accusent le pouvoir de profiter de la crise sanitaire pour tenter de briser le mouvement populaire.
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Une liberté de ton peu commune
Khaled Drareni? Ce journaliste aux allures d’athlète, aux cheveux soigneusement coupés et au sourire sympathique, était déjà devenu une coqueluche en Algérie bien avant le début du Hirak, le mouvement de contestation né en février 2019, qui s’est cristallisé dans un premier temps afin d’empêcher un cinquième mandat du président Abdelaziz Bouteflika.
Adoptant une liberté de ton peu commune, ne s’encombrant pas de circonvolutions pour poser ses questions cash, Drareni avait fait ses armes dans plusieurs médias, suscitant très vite une certaine stupeur. A peine trentenaire, il devenait une star médiatique en animant une émission de débat (Controverse) sur une chaîne privée qui venait de naître, Dzaïr TV. Nous sommes en 2014 et la «controverse» principale concerne déjà le nouveau mandat, le 4e, auquel aspire Bouteflika. S’étonnant qu’on compare, à cette époque, le président-candidat à un «don de Dieu», Drareni crée un cataclysme médiatique. L’émission n’y survivra pas.
Surtout, fondant ensuite le site d’information Casbah Tribune, animant un talk-show politique à la radio et devenant le correspondant en Algérie de TV5 Monde, Khaled Drareni a relaté comme peu d’autres les manifestations hebdomadaires du Hirak, avant qu’elles soient suspendues en mars, du fait de la pandémie. Ses proches, depuis lors, sont dans l’attente. Les comparutions promises sont reportées; le flou persiste sur la nature exacte des faits qu’on lui reproche.
Climat purement intenable
Pour sa famille, le climat est devenu purement intenable dès le mois de mai dernier. A cette date, au cours d’un entretien télévisé, le président Abdelmadjid Tebboune avait affirmé qu’un journaliste «interrogé par les services de sécurité» était allé faire rapport de ce qu’il savait «à l’ambassade d’un pays étranger». La cible était claire et cette accusation, en flirtant avec le registre de la haute trahison, pourrait valoir à Drareni une peine largement supérieure à dix ans de prison.
Le problème: ce chef d’inculpation ne figure nulle part dans le dossier transmis aux avocats du journaliste. «Le régime ment. Et ce type de mensonges, ce n’est jamais bon signe», note un proche de l’affaire. D’où les inquiétudes qui ont monté en flèche. «Par ces temps de Covid-19, on pourrait très bien prétendre que Khaled a eu un souci de santé pour le faire disparaître. Tout est devenu possible.»
Alors que l’Algérie est très loin d’en avoir terminé avec la pandémie – le nombre de cas confirmés dans le pays est de 21 948 et celui des décès de 1057, au rythme actuel de près de 600 cas en 24 heures – les contestataires savaient le risque qu’ils couraient en interrompant le mouvement de protestation. «Le régime veut profiter de la situation d’urgence et du confinement pour atomiser le Hirak», note Asma Mechakra, chercheuse en biomédecine et militante établie en Suisse. «Le pouvoir fait mine de ne pas comprendre que ce mouvement ne se résume pas à de simples marches rituelles qui se déroulaient les vendredis. Il s’est employé à fermer tous les canaux en vue d’un possible apaisement.»
Les arrestations n’ont pas cessé
Sur son compte Twitter, Khaled Drareni compte désormais plus de 146 000 followers. Mais loin de jouer en sa faveur, cette popularité semble au contraire le desservir. Alors que des figures du Hirak, arrêtées dans le même cadre que lui en mars, étaient libérées à l’approche de la fête nationale, le journaliste, lui, est resté derrière les verrous. Paradoxalement, Khaled Drareni est le neveu d’une figure historique, Mohammed Drareni, mort au combat contre les Français. Une rue porte son nom à Alger, toute proche du commissariat où a commencé le calvaire du journaliste.
Il y aurait actuellement dans le pays 59 prisonniers liés au Hirak, selon le Comité national pour la libération des détenus (CNLD). La pandémie n’a pas fait cesser les arrestations, bien au contraire. Et, tandis que la liberté d’expression est théoriquement garantie par la Constitution algérienne, les méandres du système judiciaire rendent très difficile toute opposition à la criminalisation de cette liberté d’expression.