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L’Afrique du Sud brave les rumeurs pour tester un vaccin contre le Covid-19

Le premier essai vaccinal sur le continent africain a débuté, non sans susciter des polémiques, sous la supervision d’une université de Johannesburg. Par peur d’incidents, les tests se font dans des lieux tenus secrets

Une soignante avec des volontaires qui recevront une dose d’un vaccin britannique à Soweto, à Johannesburg, le 14 juin 2020. — © keystone-sda.ch
Une soignante avec des volontaires qui recevront une dose d’un vaccin britannique à Soweto, à Johannesburg, le 14 juin 2020. — © keystone-sda.ch

«Nous ne sommes pas des cobayes!» ont chanté une vingtaine d’étudiants, qui ont brûlé leurs masques, le 1er juillet devant l’Université Wits à Johannesburg, en signe de protestation contre le premier essai d’un vaccin contre le Covid-19 en Afrique. «Les participants enrôlés pour l’essai sont des pauvres, qui sont manipulés, s’exclame l’organisatrice Phapano Phasha. Qu’ils testent d’abord le vaccin chez eux!» L’annonce du démarrage de l’essai clinique, le 24 juin, a entraîné un flot de critiques sur la blogosphère en Afrique.

Développé par l’Université d’Oxford, au Royaume-Uni, le vaccin est testé par l’Université Wits dans trois lieux tenus secrets, par peur d’incidents. Dix-huit participants ont reçu leur première dose dans une petite clinique de Soweto, ouverte à la presse pour l’occasion. «J’ai un peu peur, mais je veux pouvoir dire à mes amis comment se déroule l’étude», explique Junior Mhlongo, l’un des volontaires, sélectionnés parmi 2000 bénévoles.

«Vérifier l’efficacité en Afrique»

Déjà administré à 4000 personnes en Grande-Bretagne, le prototype est l’un des plus avancés parmi dix vaccins testés sur des humains dans le monde. Au total, quelque 40 000 cobayes seront enrôlés, y compris aux Etats-Unis et au Brésil. «Les vaccins n’agissent pas de la même manière dans différentes régions du monde, explique le virologue Shabir Madhi de Wits. Il est donc essentiel de vérifier son efficacité en Afrique.»

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«Vous nous prévenez s’il y a des effets secondaires», dit l’infirmière à Junior Mhlongo. Ce vaccin inactivé devrait lui permettre de développer des anticorps et de ne pas tomber malade du Covid-19 en cas d’infection. Au total, 2000 Sud-Africains vont participer à l’étude, dont 50 séropositifs. Si les essais sont concluants, le vaccin permettra, d’ici un an au mieux, de protéger les personnes à risque et de peut-être mettre fin à l’épidémie, en immunisant plus de 60% de la population.

Soutien de la Fondation Gates

«En général, les Africains sont favorables aux vaccins. Dans ce cas, le moulin à rumeurs a fonctionné à plein», note Serth Berkley, directeur de l’Alliance globale pour les vaccins et l’immunisation (GAVI), qui finance la vaccination dans les pays en développement. La Fondation Bill & Melinda Gates, qui finance l’essai en Afrique du Sud, est ainsi accusée par le leader noir extrémiste américain Louis Farrakhan de vouloir «dépeupler la Terre» et par son compatriote, le rappeur Ice Cube, «d’injecter une puce électronique» dans ses vaccins pour pouvoir suivre les gens. Une autre fausse information a aussi circulé sur la mort de sept enfants au Sénégal, après avoir reçu un vaccin contre le Covid-19.

La polémique a surtout été avivée par les propos tenus en avril par un professeur français, interrogé en direct sur des tests concernant l’efficacité du vaccin BCG contre le Covid-19. Jean-Paul Mira, de l’hôpital Cochin à Paris, avait suggéré de faire l’étude «en Afrique, où il n’y a pas de masques, pas de traitement, pas de réanimation». Cette remarque avait suscité un tollé. «L’Afrique n’est pas un laboratoire, s’était ainsi insurgé le footballeur ivoirien Didier Drogba. Ces propos sont racistes.» «C’est une honte, épouvantable, d’entendre des scientifiques tenir de tels propos au XXIe siècle, avait pour sa part réagi le directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, originaire d’Ethiopie. L’Afrique ne sera une zone d’essai pour aucun vaccin.» A sa suite, le responsable de la lutte contre le Covid en RDC avait déclaré qu’il n’y aurait pas d’essais dans son pays.

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Mais, en Afrique du Sud, aucune personnalité n’a trouvé à y redire. Le pays «arc-en-ciel» est le plus touché du continent, avec 197 000 infections (41% du total africain) et 3200 morts. Il offre donc un terrain propice aux essais et, en y participant, Pretoria s’assure un accès privilégié au futur vaccin à un prix raisonnable. «Les pays ont tendance à réserver les vaccins à leur population, explique la spécialiste sud-africaine du sida, Helen Rees. L’Afrique du Sud, qui préside l’Union africaine, a d’ailleurs engagé une discussion au niveau international.» Selon le président sud-africain Cyril Ramaphosa, l’Afrique doit avoir accès à des vaccins «sans brevets, fabriqués et distribués rapidement, et gratuits pour tous».

L’Afrique du Sud se place

Une course est bien engagée au niveau mondial. Plusieurs pays occidentaux ont déjà conclu des accords de pré-achat avec des firmes pharmaceutiques. Selon le quotidien Le Monde, la société britannique AstraZeneca, qui produira le vaccin de l’équipe d’Oxford, a déjà pré-vendu plus d’un milliard de doses à quatre pays européens, aux Etats-Unis et à l’Alliance Gavi.

Alors que l’Afrique utilise 25% des vaccins contre les autres maladies, elle n’a accueilli que 7% des essais cliniques réalisés dans le monde en 2017. Dans une lettre publiée par le Sunday Times, la rectrice de l’Université du Cap Mamokgethi Phakeng et le président du Conseil sud-africain pour la recherche scientifique et industrielle, Thokozani Majozi, estiment que «le continent doit jouer son rôle dans les essais de nouveaux traitements, qui peuvent sauver des vies».