En 2050, la population africaine aura doublé et les Africains représenteront un quart de la population mondiale. Une croissance démographique qui sera en grande partie absorbées par les villes du continent. Certaines sont déjà parmi les plus grandes du monde. Comment relever les défis de cette urbanisation fulgurante? Nous avons interrogé Armelle Choplin, professeure à l'Université de Genève et autrice de «Matière grise de l’urbain, la vie du ciment en Afrique » une ouvrage à paraître aux éditions MétisPresses le 22 octobre.

Découvrez le premier épisode de notre série sur les villes africaines: «Au Maroc, Benguérir se rêve en Silicon Valley» 

Le Temps: Les plus grandes villes du monde seront-elles bientôt africaines?

Armelle Choplin: D’ici une décennie, Lagos, la capitale économique du Nigeria, Le Caire, en Egypte, ou Kinshasa, en République démocratique du Congo feront partie des dix villes les plus peuplées du monde. Il est difficile de suivre l’évolution démographique de ces mégapoles africaines, car on ne sait pas où elles s’arrêtent. Par exemple, le littoral de l’Afrique de l’Ouest d’Abidjan, en Côte d’Ivoire, à Lagos est désormais presqu’entièrement urbanisé. Ce corridor de 1000 kilomètres de long abrite 40 millions d’habitants, ce qui en fait déjà la plus grande concentration urbaine d’Afrique, un chiffre qui est appelé à croître au moins jusqu’en 2050.

En quoi cette croissance urbaine change la donne?

Personne ne sait qui est en charge du corridor Abidjan-Lagos, à cheval sur plusieurs pays. Il n’y pas d’instance transfrontalière, qui permette de dialoguer, d’élaborer une vision commune et de concevoir des projets cohérents, comme l’ont fait Genève et la France en construisant la liaison ferroviaire du CEVA. Exception, la Banque africaine du développement finance une autoroute côtière allant de Abidjan à Lagos. Mais dans le domaine de la gestion d’eau et d’électricité, les deux autres grands défis des mégapoles africaines, il manque cruellement de projets communs.

Comment expliquer la croissance et l’étalement des mégapoles africaines?

Comme les Africains n’ont généralement ni compte en banque, ni protection sociale, la terre et la pierre restent leurs seules valeurs refuge. Les gens achètent un bout de terrain pour mettre à l’abri leur famille. Qu’importe s’ils s’installent très loin du centre ville, car ils savent que la ville va forcément s’étendre et que leur terrain prendra de la valeur. Cette dynamique n’est pas propre à l’Afrique, on la retrouve aussi en Inde. C’est l’argument foncier qui alimente la croissance urbaine. En plus, certaines périphéries des grandes villes ont toujours un statut administratif de zonse rurales ou villages. Les chefs locaux n’ont d’autres rentrées que la vente de terrains.

Lire aussi: «Un Africain de la diaspora à l'origine de la création d'une ville futuriste au Sénégal»

Faut-il croire aux promesses de nouvelles villes africaines, comme la cité futuriste que veut construire le rappeur Akon au Sénégal?

L’absence de gouvernance concertée sur les défis sur l’urbanisation fait que chacun y va de sa propre initiative. La diaspora joue aussi un grand rôle dans ce mouvement, elle qui investit en Afrique des montants plus importants que l’aide au développement. Même s’il est difficile d’identifier leur provenance, les capitaux étrangers circulent en très grande quantité vers l’Afrique. Selon le même argument foncier, ces capitaux sont dirigés vers de grands projets immobiliers : de nouvelles cités clinquantes, des «smart cities» vendues comme technologiques et durables. Dakar, Lagos, Nairobi… chaque mégapole construit une ville satellite de ce type.

Ces projets sont-ils à même de répondre aux énormes défis rencontrés par les villes africaines?

Ces nouvelles villes visent d’abord à attirer des capitaux et à obtenir un retour sur investissement. Elles répondent aussi aux besoins d’une classe moyenne africaine grandissante qui réclame des logements confortables de standard occidental.

Le plus frappant, dans les mégapoles africaines, ce sont les énormes inégalités. Dans le même quartier, parfois la même rue, la richesse la plus ostentatoire côtoie la pauvreté extrême. Internet et les réseaux sociaux accentuent la frustration, car le train de vie des plus riches s’affiche aussi en ligne.

L’idée de villes nouvelles africaines n’est pas neuve. Dès son indépendance, la Côte d’Ivoire a érigé Yamoussoukro, une nouvelle capitale, le Nigeria a aussi construit la sienne à Abudja…

Les mandats présidentiels ne durent qu’un temps et il est électoralement plus payant de se lancer dans des constructions emblématiques, plutôt que de mener un travail de fond, qui sera payant sur des décennies, comme lutter contre l’érosion côtière. Les habitants eux-mêmes sont ambivalents à l’égard des grands projets. Ils craignent des «éléphants blancs», des coquilles vides favorisant la corruption. Mais, quand les projets sortent de terre, ce sont des motifs de fierté, tout en apportant leur lot d’évictions d’habitants.

La crise économique créée par le Covid-19 ne compromet-elle pas ces nouvelles villes?

Cela les freine indéniablement, comme en 2008 après la crise financière. Les grandes fortunes africaines, à l’image du milliardaire nigérian Ali Dankote, veulent investir massivement en Afrique. Il est aujourd’hui nécessaire de financer des activités productives, et pas seulement de l’immobilier. Car les grandes villes africaines sont trop souvent dépourvues d’industries. Elles se contentent d’être des ports de transit et des entrepots de marchandises produites ailleurs. D’autant que la circulation des biens et des personnes a été compliquée par la fermeture des frontières dûe au Covid.

Quelle pourrait-être la ville africaine de demain réellement inclusive?

La question cruciale est la gouvernance. Il faut que les habitants soient associés aux projets. Il existe de très nombreuses initiatives, où les habitants s’organisent en communautés pour accéder à la propriété et pour acheter collectivement le terrain et mutualiser les risques de taux d’intérêts très élevés. Mais ce sont des initiatives à petite échelle. Il manque de grands programmes de construction de logements sociaux, réellement accessible au plus grand nombre, comme cela a été tenté après l’indépendance des pays africains.