L'armée sud-africaine peine à imposer le confinement
Pandémie
Depuis vendredi, le gouvernement sud-africain a confiné toute la population chez elle. Mais les habitants des townships continuent de vivre dans la rue comme avant. Reportage

Un homme, qui dormait sur un trottoir, est forcé de faire des pompes par trois soldats dans une rue du township d’Alexandra, à Johannesburg. L’armée et la police font des patrouilles quotidiennes pour chasser les gens des rues de ce township surpeuplé où au moins 200 000 personnes (le double, selon certaines sources) s’entassent sur 7 km2.
Les habitants du township continuent à se gausser des mesures de confinement imposées depuis vendredi aux 58 millions de Sud-Africains: interdiction pendant trois semaines de sortir de chez soi (même pour faire de l’exercice ou promener son chien), sauf pour aller au magasin d’alimentation ou à la pharmacie. La vente d’alcool et de tabac est aussi bannie jusqu’au 16 avril.
Ces mesures sont respectées dans les quartiers aisés, mais largement ignorées dans les nombreux bidonvilles du pays. Ce matin, certaines rues d’Alexandra étaient plus calmes que d’habitude mais d’autres étaient encore grouillantes de monde. Il y avait aussi de longues queues devant les supermarchés, suite au paiement, cette semaine, des pensions de vieillesse et d’aides sociales.
«A cache-cache avec les soldats»
«C’est comme si on jouait à cache-cache avec les soldats», déplore Thabiso Dikgale, 26 ans, développeur de médias sociaux à Alexandra. «Dès que les patrouilles sont passées, tout le monde revient dans les rues. Beaucoup, surtout les jeunes, ne prennent pas au sérieux la menace.» Le coronavirus a pourtant déjà infecté 1326 Sud-Africains (3 décès) depuis le 5 mars. Un cas a été confirmé à Alexandra: un homme arrêté au nord du pays, après s’être enfui du township, sans avertir personne.
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«Les gens sont ignorants, ajoute Sthembile Thusi, une étudiante de 19 ans. Ils disent que le coronavirus ne frappe que les Blancs, qui voyagent à l’étranger, et que c’est une maladie chinoise, qui ne nous concerne pas.» Selon Mpumelelo Ndlovu, une mère de famille, en pantalon rouge et t-shirt noir, «beaucoup pensent que c’est injuste, et même impossible, de demander à nos familles de rester cloîtrées chez elles, alors que la plupart d’entre nous vivent dans une seule chambre, voire dans un taudis en tôle ondulée».
Employée comme femme de ménage, Mpumelelo ne va plus travailler depuis vendredi. Son espace de vie se réduit désormais à une pièce de 10 m2 qu’elle partage avec son mari et trois enfants. Le robinet et la toilette sont partagés avec de nombreux voisins. «Je ne sors plus de chez moi et je désinfecte tout ce que je peux, explique-t-elle. J’ai très peur. Le virus va faire des ravages ici, car on vit les uns sur les autres. Mais je ne peux pas forcer mes deux plus jeunes et mon mari à rester à l’intérieur toute la journée.» Thokozani, le père de famille, discute avec des voisins dans la rue. Personne ne garde ses distances: ils ne savent pas qu’un malade asymptomatique peut être contagieux. Aucune information n’a été distribuée aux habitants d’Alexandra.
«Le gouvernement nous tue, en voulant nous sauver!»
«Ce qu’on fait ne sert à rien!» se plaint un policier, qui patrouille en voiture. Un passant lui enjoint de dire aux enfants de ne pas jouer dans la rue. «Faites-le vous-même!» répond-il, découragé. La police s’est contentée de fermer des petites boutiques d’alimentation tenues par des migrants étrangers, aggravant l’incompréhension des habitants. «Je ne vais tout de même pas prendre un taxi pour aller acheter du pain! se plaint Jackson Mahlati, qui gagne sa vie comme homme à tout faire. Comme lui, la majorité des habitants d’Alexandra vivent, au jour le jour, de petits boulots. «Pendant trois semaines, on ne va rien gagner. Quand on a faim, c’est dur de rester chez soi, dit-il. Le gouvernement nous tue, en voulant nous sauver!» Des aides ont bien été promises, mais personne n’en a encore vu la couleur.
«L’armée doit utiliser la force pour qu’on la prenne au sérieux», pense Jacob Movalo, 59 ans, un petit entrepreneur dans la construction. Mais beaucoup redoutent que les townships s’embrasent si les forces de sécurité utilisent la manière forte. Dans un discours télévisé lundi soir, le président sud-africain, Cyril Ramaphosa, a appelé les forces de l’ordre à respecter la loi, tout en appelant la population à observer le confinement. «Ce n’est pas la maladie de quelqu’un d’autre», a-t-il dit. Il a annoncé une campagne massive de dépistage et de tests. «Vendredi, j’ai été à la clinique d’Alexandra car j’avais tous les symptômes du coronavirus, raconte Asanda Shelembe, une étudiante en comptabilité. Les deux infirmières n’ont même pas pu me dire où je pouvais me faire tester. Quand je suis sortie, les soldats étaient en train de tirer avec des balles en caoutchouc pour disperser des gens.»