Environnement
Après avoir achevé le second remplissage de son immense barrage sur le Nil, l’Ethiopie peut commencer la production d’électricité. Même si l’Egypte et le Soudan fulminent, le barrage de la Renaissance cimente l’union nationale éthiopienne en péril

En 1965, l’empereur éthiopien Haïlé Sélassié contemplait le barrage de la Grande Dixence, en Valais. La visite du souverain en Suisse a-t-elle inspiré la construction du barrage de la Renaissance sur le Nil, en bonne voie d’achèvement près de 60 ans plus tard?
Un lecteur a attiré notre attention sur cette archive de la Radio télévision suisse, où l’on voit «le roi des rois» sur ce qui était alors l’un des plus grands barrages du monde. De là à affirmer que cette visite a été décisive dans le projet de la Renaissance, il n’y a qu’un pas qu’hésite à franchir Paulos Asfaha. «Les premières études pour ce gigantesque chantier ont été réalisées dès les années 1950», précise l’historien de l’Université de Genève et spécialiste de l’Ethiopie.
Septante ans plus tard, l’ouvrage est enfin opérationnel. Les autorités éthiopiennes ont annoncé lundi la fin du second remplissage du lac artificiel, qui doit permettre le début de la production d’électricité. Le barrage de la Renaissance, en construction depuis 2011 sur le Nil Bleu, non loin de la frontière soudanaise, contiendrait désormais 13,5 milliards de mètres cubes d’eau, 30 fois plus que ce que contient le lac des Dix retenu par la Grande Dixence. Une fois que toutes les turbines fonctionneront, l’Ethiopie prévoit de produire 5000 mégawatts, contre 2000 pour le barrage valaisan.
Today, 19th July, 2021, the GERD reservoir reached overtopping water level. Currently, the incoming flow passes through both bottom outlets and overtopping. This year also we are experiencing extreme rainfall in the Abbay Basin(Blue Nile Basin). As a result, the GERD reservoir pic.twitter.com/MGPeEyC1UF
— Dr Eng Seleshi Bekele (@seleshi_b_a) July 19, 2021
Ce projet est crucial pour Addis Abeba pour électrifier le second pays le plus peuplé d’Afrique et assurer le développement du pays. C’est aussi une cause nationale depuis de nombreuses années. Le gouvernement a lancé une souscription pour financer le chantier. «Les Ethiopiens de l’étranger étaient encouragés à contribuer à cet effort lorsqu’ils venaient au Consulat renouveler leurs papiers. En Ethiopie, les hommes d’affaires ont aussi dû mettre la main au porte-monnaie», relate Paulos Asfaha. La Chine a contribué au financement estimé à 5 milliards de dollars, sans qu’il soit possible de déterminer l’ampleur et les modalités de sa contribution.
Une victoire pour l’Ethiopie
«Le barrage de la Renaissance est l’un des rares facteurs d’unité nationale en Ethiopie, surtout lorsque l’Egypte et le Soudan menacent l’ouvrage», poursuit Paulos Asfaha. La fédération éthiopienne est en effet menacée par les velléités séparatistes de plusieurs régions. Fin juin, l’armée fédérale a enregistré une défaite cuisante face aux rebelles du Tigré. Ces derniers ont attaqué dimanche la région voisine d’Afar, faisant planer la menace de couper l’autoroute entre Addis Abeba et Djibouti, un axe crucial pour l’Ethiopie qui n’a pas accès à la mer.
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Dans ce contexte, les Ethiopiens font bloc derrière leur gouvernement pour défendre le barrage de la Renaissance. L’Egypte est la plus virulente. Elle voit cette retenue d’eau sur le Nil comme une menace existentielle. Elle craint en effet un impact énorme pour son agriculture et ses propres ressources hydrauliques. L’Egypte, rejointe par le Soudan ont menacé par le passé de bombarder le barrage, en l’absence d’un accord. «Cette menace est devenue inopérante puisque le barrage est rempli et le détruire provoquerait une catastrophe en aval», affirme Paulos Asfaha. Les négociations avec l’Egypte et le Soudan sont enlisées. «L’Ethiopie a joué la montre et a désormais la meilleure main», dit-il.