«Avec le gouvernement d’Erythrée, nous voulons du fond de nos cœurs que les différends, qui règnent depuis des années, prennent fin.» Dès son investiture au parlement éthiopien, le 2 avril dernier, le premier ministre, Abiy Ahmed, avait suscité la surprise en affirmant sa volonté de clore vingt ans de conflit avec son voisin érythréen. En réponse, le ministre de l’Information d’Asmara, Yemane Gebremeskel, expliquait alors que «la balle est restée trop longtemps dans le camp éthiopien, l’Ethiopie doit honorer ses obligations en se retirant des territoires occupés – y compris Badme». Deux mois plus tard, la coalition au pouvoir en Ethiopie renvoie donc la balle «dans le camp du parti au pouvoir à Asmara», selon les mots de Bereket Berhane. «Je m’y attendais depuis plusieurs mois maintenant, témoigne ce réfugié érythréen et militant, installé à Addis Abeba. Les responsables politiques et militaires éthiopiens que j’ai rencontrés de manière informelle semblaient ouverts.»

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Ce mardi 5 juin, le comité exécutif du Front démocratique révolutionnaire des peuples éthiopiens (EPRDF) a annoncé mettre «pleinement en œuvre» l’accord de paix d’Alger signé en décembre 2000 avec l’Erythrée pour mettre fin à deux ans de guerre qui a fait entre 70 000 et 100 000 morts et un million de déplacés, selon les sources. La coalition éthiopienne accepte également le tracé de la frontière entre les deux pays, finalisé par une commission d’arbitrage en 2002, qu’elle avait jusqu’alors rejeté, refusant de céder la ville de Badme aux Erythréens.

Restaurer la paix entre deux pays frères

Des incidents armés ponctuaient périodiquement le quotidien des habitants des villes frontalières, notamment entre Tsorona et Adigrat. En juin 2016, le porte-parole du gouvernement éthiopien, Getachew Reda, déclarait même que son pays avait «la capacité de mener une guerre totale contre l’Erythrée». Aujourd’hui, l’heure semble donc être à l’ouverture avec l’arrivée d’un jeune dirigeant, qui ne partage pas l’animosité de la vieille garde du régime éthiopien envers les frères ennemis érythréens. Pour l’instant, Asmara n’a pas commenté cette annonce. «Le gouvernement érythréen devrait adopter la même position sans condition préalable et accepter notre appel à restaurer la paix trop longtemps perdue entre les deux pays frères, comme c’était le cas auparavant», espère, dans un communiqué, la coalition de l’EPRDF.

Gebremeskel* attend lui aussi la réponse du régime d’Issayas Afewerki, «un peu inquiet». Cet Erythréen réfugié en Ethiopie depuis un an, dont la famille vit toujours en Erythrée, ne croit pas que le dirigeant érythréen, qui conduit le pays d’une main de fer depuis l’indépendance en 1993, soit prêt à ouvrir ses portes à son ennemi, bien utile. «L’absence de paix est la raison que donne le régime pour ne pas faire de changements démocratiques, affirme Bereket Berhane, la paix davantage que la guerre requiert du courage et de la force.» Pour l’analyste Hallelujah Lulie, directeur des programmes du think tank Amani Africa, «Issayas pourrait utiliser cette annonce pour nourrir sa rhétorique nationaliste, affichant cette décision comme une victoire pour lui.» Pour appliquer l’accord d’Alger, les deux pays devront dans tous les cas s’asseoir à la même table pour discuter, entre autres, du sort des habitants de la ville de Badme qui, d’après la décision de 2002, doit revenir à l’Erythrée.

Un véritable rapprochement entre les deux pays, culturellement très liés, permettrait d’améliorer la sécurité de la région, marquée par plusieurs conflits que l’Ethiopie et l’Erythrée sont accusées d’utiliser pour mener une guerre par procuration. Au-delà, il permettrait à Asmara de desserrer l’étau des sanctions internationales. Addis Abeba pourrait aussi à nouveau lorgner les ports de Massawa et Assab sur la mer Rouge.

* Le prénom a été changé.