Éthiopie
La haut-commissaire aux droits de l’homme Michelle Bachelet appelle à un cessez-le-feu immédiat en Ethiopie. Les exactions contre la population étaient répandues, elles risquent de s’aggraver avec l’escalade et l’extension de la guerre au Tigré

«Une famille de quatre personnes tuée à Mekele [la capitale du Tigré, dans le nord de l’Ethiopie, ndlr] dans le bombardement de leur maison apparemment par l’armée éthiopienne, sans aucune justification militaire visible. Une femme de 26 ans à Adiet qui a été violée collectivement par des soldats érythréens devant sa fille de 3 ans. Un homme à Mai Kadra attaqué à la machette par les Samri, un groupe de jeunes Tigréens. Il a ensuite été abattu dans le dos et jeté dans un feu.»
Ces horreurs ont été égrenées mercredi à Genève par la haut-commissaire aux droits de l’homme de l’ONU Michelle Bachelet, présentant un rapport d’enquête sur le conflit au Tigré. Cette guerre d’une «extrême brutalité», selon les mots de l’ancienne présidente chilienne, et qui se déroule à huis clos, entre ce mercredi dans sa seconde année, après l’attaque par les rebelles tigréens d’une base de l’armée fédérale, le 3 novembre 2020.
La réponse éthiopienne devait être une simple opération de maintien de l’ordre, selon les mots du premier ministre, Abiy Ahmed, Prix Nobel de la paix en 2019 pour son rapprochement avec l’Erythrée. Une année plus tard, le rapport de force a basculé. Les rebelles tigréens menacent la capitale Addis-Abeba et le gouvernement a décrété mardi l’état d’urgence et a appelé tous les citoyens à prendre les armes. L’Ethiopie, second pays le plus peuplé d’Afrique, menace de sombrer dans le chaos.
Lire aussi: «En Ethiopie, les rebelles tigréens s’ouvrent une voie vers Addis-Abeba»
«Personne ne gagne dans cette guerre insensée qui engloutit une partie croissante du pays», a alerté Michelle Bachelet, faisant état des récents bombardements meurtriers, de nouvelles exécutions sommaires, de déplacements massifs et de l’aggravation de la situation humanitaire. La priorité, selon elle, c’est un cessez-le-feu immédiat et l’ouverture d’un dialogue politique. Elle craint que l’instauration de l’état d’urgence aggrave les divisions et menace la société civile.
Dans ce contexte de guerre totale, difficile de croire que puisse être entendu l’appel de Michelle Bachelet à mettre fin à l’impunité dans le nord de l’Ethiopie et poursuivre les auteurs des exactions pouvant, selon l’ONU, être constitutifs de crimes de guerre voire de crimes contre l’humanité.
Le gouvernement éthiopien a toutefois annoncé qu’il acceptait le rapport onusien et ses recommandations. Addis-Abeba a salué le fait que l’enquête n’ait pas pu établir d’indications de génocide au Tigré, comme le proclament les rebelles tigréens, qui avaient dénoncé par avance une investigation partiale. Egalement lourdement mise en cause, l’Erythrée voisine n’a jamais répondu aux sollicitations de l’ONU.
Situation de famine
Egalement à la satisfaction du gouvernement éthiopien, la mission n’a pas confirmé les allégations selon lesquelles l’Ethiopie utilise sciemment l’arme de la faim contre le Tigré. Mais Michelle Bachelet a rappelé que 7 millions de personnes avaient besoin d’une aide alimentaire dans le nord de l’Ethiopie, dont 5 millions au Tigré, et que 400 000 personnes y étaient en situation de famine. Aucun convoi n’a pu pénétrer dans la région depuis la mi-octobre, faute des autorisations du gouvernement, a-t-elle dit.
En décalage avec la dégradation de la situation en Ethiopie, le rapport de l’ONU ne couvre que la période de novembre 2020 jusqu’au 28 juin 2021. Date à laquelle l’armée éthiopienne a décrété un cessez-le-feu unilatéral, après avoir été chassée du Tigré par les rebelles. Depuis, ces derniers ont attaqué les régions voisines Amhara et Afar, afin, disaient-ils, de desserrer le blocus contre le Tigré.
Enquête controversée
Cette enquête a été réalisée par l’ONU conjointement avec la Commission éthiopienne des droits de l’homme, une instance qui dépend d’Addis-Abeba. C’était la condition posée par le gouvernement éthiopien pour permettre à une équipe de l’ONU de se rendre sur place pour confirmer les exactions rapportées par de nombreuses ONG. Malgré ou à cause de ce caractère hybride, les membres de la mission n’ont pas pu aller partout où ils le souhaitaient dans la région. Ils ont aussi été intimidés, reconnaît l’ONU. En octobre dernier, le journal français Libération donnait la parole à un traducteur écarté de la mission et qui dénonçait les pressions des membres de la Commission éthiopienne pour orienter les recherches.
Lire aussi: «L’ONU consent à une enquête avec l’Ethiopie sur les massacres au Tigré»
Au terme de cet exercice controversé, la mission d’enquête conjointe estime que des exactions ont été commises par tous les belligérants: bombardements indiscriminés, viols collectifs, tortures, attaques contre des réfugiés et déplacements forcés. Le rapport confirme des massacres de civils, notamment à Mai Kadra, dans les premiers jours du conflit, où 200 Amharas ont été exécutés par de jeunes Tigréens, ou à Axum, dans le centre du Tigré, une ville reprise fin novembre 2020 par les forces éthiopiennes et les soldats érythréens, qui ont tué plus de 100 habitants.
Est-ce dire que les deux camps sont renvoyés dos à dos? Lors de la conférence de presse mercredi, Michelle Bachelet s’est montrée un peu plus précise: «La majorité des violations documentées de novembre 2020 à juin 2021 semblent avoir été commises par les forces éthiopiennes et érythréennes.» Mais, depuis lors, le Haut-Commissariat aux droits de l’homme reçoit de plus en plus d’informations d’atrocités perpétrées par les rebelles tigréens, alors que la brutalité de l’autre camp contre les civils continue.
Lire aussi: En Ethiopie, le premier ministre appelle les citoyens à prendre les armes
Et maintenant? Michelle Bachelet souligne qu’il est de la responsabilité du gouvernement éthiopien de mener des enquêtes criminelles et de traduire les coupables devant la justice. Les quelques poursuites annoncées par Addis-Abeba sont «peu transparentes», selon Michelle Bachelet. Si l’Ethiopie faillit à sa tâche, la Chilienne appelle la communauté internationale à mettre en place un mécanisme d’enquête. Cela serait la seule mais hypothétique possibilité pour les victimes d’obtenir un jour justice. L’Ethiopie n’a en effet pas rejoint la Cour pénale internationale.