Afrique du Sud
Les partisans de l’opposant Julius Malema fustigent la «capture de l’Etat» par le président et ses proches

Révolution en mouvement n’est pas un jeu de mots, mais le nom du camion-sono des Combattants pour la liberté économique (EFF), le mouvement radical dirigé par Julius Malema. Le gros véhicule des partisans de la «seconde libération» – comprendre: après l’instauration de la démocratie en 1994, la fin du contrôle blanc sur l’économie – détonne. Il est garé sur la place la plus emblématique de l’Afrique du Sud d’avant, celle de l’ex-pouvoir blanc, justement, au centre de Pretoria.
Mouvement contestataire déterminé
La place de l’Eglise est un espace sévère et carré, dont l’architecture triste à mourir cerne une statue en bronze de Paul Kruger, général et chef d’Etat afrikaner sur laquelle s’acharnent des pigeons. Autour, la place est rouge, aux couleurs des militants du mouvement de Julius Malema, qui ont envahi mercredi dernier les rues de la capitale avec un slogan simple: «Zuma doit s’en aller.»
Techniquement, le chef de l’Etat est déjà parti. Il a choisi d’aller rendre visite, prudemment, à Robert Mugabe, son homologue du Zimbabwe, dont le pays entre dans de nouvelles convulsions. Mieux vaut se trouver aujourd’hui à Harare qu’à Pretoria, où l’atmosphère est à l’orage. Les principales formations d’opposition ont appelé à une journée de manifestation dans la capitale pour réclamer sa démission.
Jacob Zuma a vu monter, en un an, un mouvement composite acharné à le chasser du pouvoir, qui mélange des opposants et ses ennemis au sein de l’ANC (Congrès national africain). Jusqu’ici en pure perte.
Dans l'attente d'une décision sur un rapport explosif
En ce mercredi de forte chaleur, des juges siègent à la Haute Cour, non loin de la place de l’Eglise. Ils doivent décider si un rapport de l’ex-médiatrice de la République, Thuli Madonsela, consacré à la «capture de l’Etat» réalisée avec la complicité du président Zuma par les hommes d’affaires de la famille Gupta, dont il est proche, peut être rendu public. Une bataille judiciaire est engagée à ce sujet. Depuis des mois, c’est sur le terrain de la justice que se mènent la plupart des opérations visant à faire éclater la vérité, ou à tenter de corroborer certaines des révélations qui irriguent la presse au sujet de scandales de grande ampleur.
Un sentiment d’urgence a envahi l’Afrique du Sud alors que le pouvoir se prépare à lancer un programme nucléaire gigantesque qui aurait à peu près pour conséquence de ruiner le pays, mais d’enrichir les frères Gupta – qui fourniraient le combustible via une de leurs sociétés – tout en offrant des retombées directes à la famille de Jacob Zuma.
EFF seul dans les rues de Pretoria
Tout cela n’est que la conséquence d’un mal plus profond, celui de cette «capture de l’Etat» qui est le moteur de la contestation anti-Zuma. Plusieurs mouvements avaient annoncé leur intention de manifester à Pretoria. Or, seul EFF est visible ce mercredi. Les militants de l’Alliance démocratique (DA), la plus importante formation d’opposition, ont sagement évité de traîner dans la rue, redoutant les débordements. Ils ne sont pas les seuls à se faire du souci. Les magasins ont baissé leur rideau de fer. Les passants ont disparu de la circulation. L’arrivée d’EFF a agi comme une alerte au typhon rouge.
Julius Malema est doté à la fois du talent de faire rire, et de faire peur. Ses militants, habillés de la couleur éclatante des drapeaux, dispersés dans les rues en longues rangées pour donner l’impression d’occuper le plus d’espace possible, tapent sur les devantures des magasins pour effrayer un peu les habitants, enfermés à double tour.
Quelques vitrines volent en éclats tandis que brûlent des poubelles, des pneus, des matelas, mais le service d’ordre d’EFF parvient à garder la situation sous contrôle. Sur la place de l’Eglise, on entend vaguement quelques tirs de balles en caoutchouc, non loin. La sono de la Révolution en mouvement couvre tout. Et puis, il fait si chaud. Des saucisses grésillent, c’est un peu la kermesse rouge. Midi approche, quelqu’un vient de saisir le micro et fait une annonce: «Le président Jacob Zuma démissionnera ce soir à 19 heures.»
Rapport rendu public
Stupeur dans la foule. Interrogations. C’est une blague? Sans doute, peut-être, certainement. Un autre appel suit, pour engager tout le monde à prendre le chemin de la présidence, Union Buildings, demander «la démission de Zuma». C’est alors que la Haute Cour annonce que le rapport sur la «capture de l’Etat» sera diffusé dans les heures suivantes. C’est une victoire. Est-ce qu’elle tombe bien? Nul n’en sait rien.
La marée rouge, dans les rues de Pretoria, est brisée. Cela suffira pour aujourd’hui. Certains militants iront tester les techniques de la police anti-émeutes devant le portail de la présidence. Canons à eaux, grenades assourdissantes, herses de barbelés et balles en caoutchouc auront moins raison de leur détermination que l’attente du contenu du rapport de 355 pages, dont les états-majors politiques entament fiévreusement la lecture. Laquelle s’avère à la fois décevante et prometteuse.
Une procédure qui débute
Les faits exposés sont importants. On y retrouve les grandes affaires qui ont défrayé la chronique des années Zuma, autour du rôle de la famille Gupta, donc, notamment pour ce qui concerne le remplacement de certains responsables politiques. L’essentiel avait déjà été divulgué dans la presse, mais les accusations apparaissent cette fois dans un document officiel, susceptible d’entraîner des conséquences.
Une commission judiciaire doit être formée, et rendre ses conclusions dans un délai de six mois, tout en poursuivant les enquêtes que Thuli Madonsela, qui arrivait au terme de son mandat, n’a pu mener à bien. Le rapport est encore un champ d’exploration, une sorte de friche géante où pourra s’élaborer la phase suivante, dans l’offensive anti-Zuma en cours. On reverra les hommes en rouge d’EFF dans les rues d’Afrique du Sud.