Studio Tamani a fêté ses 7 ans. Fruit d’un partenariat entre la Fondation Hirondelle, basée à Lausanne, et l’URTEL (Union des radiodiffusions et télévisions libres du Mali), le programme radio d’information est diffusé par 75 radios maliennes. Un anniversaire particulier alors que le pays est désormais plongé dans une profonde incertitude. Suite au coup d’Etat du mardi 18 août qui a conduit à la démission du président Ibrahim Boubacar Keïta en fonction depuis 2013, de nombreux défis attendent désormais les journalistes dans le pays. Entretien avec Martin Faye, journaliste et représentant de la Fondation Hirondelle, qui dirige l’équipe du Studio Tamani.

Le Temps: Comment avez-vous vécu cette journée particulière?

Martin Faye: Avec notre équipe, nous avons suivi les événements de très près. Quand nous avons compris que la situation allait dégénérer, aux alentours de midi, il a fallu prendre des mesures de sécurité. Nous avons donc libéré tous les journalistes non essentiels et, avec une équipe d’une dizaine de personnes, nous avons monté le journal du soir ainsi qu’une émission de table ronde avec les premières réactions suite aux événements. En temps normal, nous diffusons nos programmes en cinq langues mais, dans cette situation particulière, nous n’avons pu le faire qu’en français et en bambara, la langue la plus parlée au Mali.

Quels défis attendent les journalistes dans un pays en crise comme le Mali?

Une des plus grandes difficultés réside dans la vérification des informations. Enormément de rumeurs et de fake news circulent actuellement sur les réseaux sociaux et il est de notre devoir de valider ou de démentir ces informations. Malheureusement, notre travail est compliqué car, jusqu’ici, les responsables du coup d’Etat refusent de communiquer avec nous. Il faut donc envoyer des journalistes sur le terrain, mais cela peut s’avérer dangereux. Même si les militaires mutins ont annoncé mercredi «zéro mort, zéro blessé» suite au putsch, les services du CHU Gabriel Touré de Bamako ont déploré quatre décès par balle à Kati et devant le domicile du directeur général de la police. Tous étaient des civils. Nous devons donc prendre des risques calculés.

C’est visiblement compliqué de faire du bon travail quand on ne peut se rendre sur le terrain…

Effectivement. Il faut procéder à la vieille méthode du recoupement d’informations et de la multiplication des sources crédibles. On passe des appels téléphoniques, on contacte nos confrères des autres médias et on partage ce que l’on sait pour essayer d’établir la vérité.

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Dans une telle situation, êtes-vous inquiet pour la liberté de la presse?

Nous avons affaire à des personnes qui veulent contrôler l’information et manipuler les journalistes. Le couvre-feu instauré par les militaires ne tient pas du tout compte des contraintes médiatiques. Les déplacements entre 21h et 5h sont interdits mais il n’est pas rare que la journée d’un journaliste se termine plus tard ou commence plus tôt. De plus, le groupe M5-RFP, qui réclamait la démission du président depuis un mois, a également refusé de nous accorder une réaction pour le moment. Dans un tel climat, nous mettons tout en œuvre pour instaurer un dialogue et nous restons très vigilants pour repérer tout signe qui montrerait qu’une chape de plomb s’abat sur la liberté de la presse.

Les forces armées annoncent une transition politique civile et des élections crédibles. Quel sera votre rôle dans cette transition?

Personne ne sait vraiment combien de temps durera cette transition mais la pression exercée par la Cedeao et l’Union africaine va certainement pousser les militaires à accélérer les choses. Il faudra s’attendre à une élection présidentielle et à une élection législative. Il sera de notre devoir d’accompagner les Maliens dans tout le processus démocratique et de leur fournir les informations les plus claires et complètes sur le scrutin.

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Quel regard les Maliens portent-ils sur les médias?

Au Mali, la population est plutôt méfiante envers les médias, qui sont victimes d’un véritable manque de rigueur journalistique. Du côté des médias de l’Etat comme le quotidien national L’Essor ou la radio-télévision nationale ORTM, les journalistes demeurent la voix du maître. Les médias privés, eux, sont pour la plupart orientés politiquement car financés par des politiciens. On assiste donc à une collusion entre l’éditorial et le publireportage. Beaucoup de journalistes sont entrés dans la profession sans formation de base solide. Les règles d’éthique et de déontologie qui régissent la profession sont donc difficilement respectées.

Chez Studio Tamani, vous essayez de travailler différemment?

Le Studio Tamani est également un centre de formation qui veut façonner une nouvelle génération de journalistes professionnels. Avec le temps, nous sommes devenus un média de référence au Mali et plusieurs signes nous montrent que nous avons gagné la sympathie des Maliens. Notre traitement neutre et factuel de l’actualité de ces derniers jours a d’ailleurs été largement salué par les internautes. Beaucoup de gens nous disent qu’ils attendent qu’une information soit diffusée par notre rédaction pour y croire.