La mort du chef de Boko Haram n’est pas forcément une bonne nouvelle
Terrorisme
La disparition d’Abubakar Shekau risque paradoxalement de renforcer l’Etat islamique dans le nord du Nigeria. Loin de les affaiblir, la compétition entre groupes djihadistes produit une surenchère de violences

A force d’avoir annoncé l’avoir tué, l’armée nigériane lui avait conféré une aura d’invincibilité. Cette fois, Abubakar Shekau, le chef du groupe islamiste Boko Haram, semble bel et bien mort. Mais l’ennemi public numéro un du Nigeria n’est pas tombé lors d’un assaut des forces gouvernementales. Il se serait fait exploser après avoir été encerclé par un groupe rival dans son fief du nord-est du pays.
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La nouvelle de sa mort circulait depuis la mi-mai. Mais un enregistrement audio du chef de l’Etat islamique en Afrique de l’Ouest (Iswap) a confirmé ces informations. Selon cet enregistrement, Abubakar Shekau «a préféré l’humiliation dans l’au-delà à l’humiliation sur terre» en se donnant la mort. Boko Haram n’a pas démenti. Et Abubakar Shekau n’est pas réapparu sur une vidéo narguant ses ennemis.
Depuis qu’il a pris la tête de Boko Haram en 2010, après la mort de son fondateur tué par la police, Abubakar Shekau s’était fait de nombreux ennemis. Il a entraîné la secte islamiste, qui signifie «l’éducation occidentale est un péché», dans une fuite en avant ultra-violente. L’année suivante, Boko Haram revendique un premier attentat dans la capitale Abuja, loin du bastion de la secte.
Enlèvements de masse et enfants kamikazes
En 2014, Boko Haram enlève des centaines de lycéennes dans la ville de Chibok. Dans une vidéo, Abubakar Shekau promet qu’elles seront vendues pour être mariées et s’assure ainsi une terrible notoriété. Le slogan «Bring back our girls» (ramenez nos filles) fait le tour du monde, mais à ce jour, des dizaines de lycéennes sont toujours portées disparues. La tête d’Abubacar Shekau était mise à prix, tant par les Etats-Unis que par le Nigeria. En vain.
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Sous sa direction, Boko Haram utilise aussi des enfants pour commettre des attentats suicides. Les attaques terroristes débordent des frontières du Nigeria, pour atteindre le Niger, le Cameroun et le Tchad. Alors au fait de sa puissance, Boko Haram fait allégeance à l’Etat islamique en 2015. Mais des dissensions apparaissent au sein du groupe et Abubakar Shekau et ses méthodes sanguinaires sont réprouvées par l’Etat islamique, qui vise à gagner l’assentiment des populations pour s’assurer une assise territoriale, comme il l’avait fait en Irak et en Syrie.
«En mode survie»
La scission au sein du mouvement est actée en 2016. Un fils du fondateur de Boko Haram prend la tête de l’Iswap et Abubakar Shekau se replie avec ses fidèles dans la forêt de Sambisa, près de la frontière avec le Cameroun, là où le djihadiste se serait fait exploser le mois dernier. «Ces dernières années, Boko Haram est devenu un mini-Etat pillard qui était en mode survie», juge Vincent Foucher, chercheur au CNRS.
Les coups les plus durs portés contre l’armée nigériane le sont par l’Iswap. «Le danger est que l’Etat islamique récupère les combattants et les territoires de Boko Haram», met en garde Vincent Foucher. Cette opération serait en bonne voie, même si certains commandants de Boko Haram font de la résistance.
Si l’absorption de Boko Haram réussit, le gouvernement nigérian a du souci à se faire. L’Iswap consoliderait ainsi son territoire et pourrait «encercler Maiduguri», une ville de plus d’un million d’habitants capitale de l’Etat de Borno, poursuit le chercheur.
Les implications régionales de la mort d’Abubakar Shekau sont plus incertaines. Depuis la chute du califat en Irak et en Syrie, l’Afrique est devenue l’un des principaux fronts de l’Etat islamique. Mais la circulation des combattants entre les différents théâtres d’opérations sur le continent africain n’est pas aisée.
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Plus à l’Ouest, l’Etat islamique au Grand Sahara est actif entre le Mali, le Burkina Faso et le Niger. Ce groupe, dirigé par un djihadiste originaire du Sahara occidental, un territoire revendiqué par le Maroc, est l’un des principaux ennemis de la France et de ses 5000 soldats déployés au Sahel.
Comme au Nigeria, cette franchise est en rivalité avec d’autres groupes djihadistes, proches d’Al-Qaïda. L’an dernier, des combats ont eu lieu entre les deux mouvances. Mais la mauvaise nouvelle, c’est que cette concurrence ne freine pas les attaques. Comme en témoigne l’assaut meurtrier commis par des hommes à moto dans la nuit de vendredi à samedi contre un village du Burkina Faso, qui a fait 160 morts. Cette attaque n’a toujours pas été revendiquée.
Shekau a préféré l’humiliation dans l’au-delà à l’humiliation sur Terre. Il s’est donné la mort en déclenchant un explosif