Nobel de la paix 2019, un retour aux fondamentaux
Ethiopie
En décernant son prix au premier ministre éthiopien, le comité norvégien revient à une définition stricte du conflit armé

Le nom de Greta Thunberg circulait avec insistance. La jeune militante suédoise n’a finalement pas décroché le Prix Nobel de la paix. En récompensant le premier ministre éthiopien Abiy Ahmed, le comité norvégien opère un retour aux fondamentaux. Il applique à la lettre la volonté testamentaire de son fondateur, Alfred Nobel, qui souhaitait saluer les efforts de ceux qui ont «œuvré le plus et le mieux pour la fraternité des peuples et la suppression ou la réduction des armées permanentes, ainsi que la création et la propagation des congrès de la paix». Des poignées de main historiques rejoindront ainsi la longue liste des actions récompensées. En 1994, Yasser Arafat, Yitzhak Rabin et Shimon Peres se voient décerner conjointement un Prix Nobel à la suite des Accords d’Oslo.
Au fil de son histoire, le prix s’est toutefois détaché de son objectif originel. «Depuis la guerre froide, on observe une nette évolution dans la façon d’aborder la question de la paix. Les conflits ne sont plus forcément interétatiques. La plupart se jouent en interne, dans le cadre de guerres civiles», indique Keith Krause, directeur du Centre d’étude des conflits, du développement et de la consolidation de la paix de l’Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID), à Genève.
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Ce changement dans la nature des conflits sera illustré par le choix fait en 2016. Cette année-là, le prix est remis à l’ancien président colombien Juan Manuel Santos pour avoir engagé le processus de paix avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie. Mais le Comité Nobel s’intéresse également à des thématiques périphériques.
En 2007, comme une première vague avant la mobilisation citoyenne déclenchée par Greta Thunberg, c’est l’ancien vice-président américain Al Gore et le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat qui recevaient les honneurs du Comité Nobel. Une manière de mettre la thématique des changements climatiques sur le devant de la scène, sans faire l’unanimité. «Il est difficile pour les chercheurs de montrer un lien de causalité entre les changements climatiques et l’existence de tensions régionales», note Keith Krause.
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De la paix au bien
Le rapport ténu avec la cessation d’hostilités fera également polémique en 2014 avec la récompense attribuée à Kailash Satyarthi et à Malala Yousafzai pour leur combat contre la répression des enfants. «Ont-ils milité pour la réduction des armées? Ce n’est pas leur sujet. Ont-ils organisé des congrès de la paix? Pas davantage. Ont-ils lutté pour la fraternité des peuples? Ici, on pourrait se poser la question», s’agaçait l’écrivain français Oscar Lambert dans le quotidien Libération. L’auteur de Comment devenir Prix Nobel de la paix sans se fatiguer dénonçait un comité qui souhaite «poursuivre ses propres objectifs». Selon lui, il s’agit plus d’un Prix Nobel du bien que d’un Prix Nobel de la paix.
L’édition 2019 est-elle un signal adressé aux détracteurs du comité? Keith Krause ne croit pas à cette hypothèse: «Cela ne dit rien de l’avenir.» Selon le spécialiste, le Nobel de la paix est plus que jamais une récompense mouvante, entre conflits armés et causes périphériques.