La suspension de Twitter a été annoncée lundi par le gouvernement nigérian, suite à la censure d’un message du président Muhammadu Buhari jugé contraire aux règles du réseau social. Le message en question menaçait les auteurs de violences dans le sud-est du Nigeria. Le président rappelait le précédent de la guerre du Biafra, qui avait fait plus d’un million de morts à la fin des années 1960 et à laquelle cet ancien général avait participé.
Les propos du chef d’Etat ont créé une tempête au Nigeria, où les cicatrices de ce conflit n’ont jamais été refermées. D’autant que cette région est de nouveau secouée par des violences séparatistes. Le gouvernement nigérian a accusé Twitter de pratiquer le deux poids deux mesures, puisqu’il tolérerait les posts de leaders sécessionnistes. Abudja a aussi reproché au directeur de Twitter d’avoir soutenu les manifestations l’an dernier contre les violences policières. Ce mouvement avait gagné une énorme audience grâce aux réseaux sociaux et le relais des stars du cinéma ou de la musique nigériane.
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La jeunesse nigériane, très connectée, et les médias voient donc dans la censure du tweet présidentiel un prétexte pour restreindre les réseaux sociaux. Les médias ont d’ailleurs l’interdiction d’utiliser Twitter. Paradoxalement, Muhuammadu Buhari est le chef d’Etat le plus suivi sur le continent, avec 4,1 millions d’abonnés.
Donald Trump à la rescousse
Le président nigérian a reçu mardi le soutien d’une autre locomotive de Twitter, en la personne de Donald Trump. L’ancien locataire de la Maison-Blanche a lui carrément été banni du réseau social après l’invasion du Capitole par ses partisans en janvier dernier. «Qui sont-ils pour dire où est le Bien et le Mal, alors qu’ils sont eux-mêmes le Mal», a estimé Donald Trump, dans un communiqué. Il faisait aussi référence à Facebook, qui vient de l’exclure. Revanchard, il a appelé tous les pays à interdire les deux plateformes, car elles «ne permettent pas la liberté d’expression».
Le Nigeria n’est pas le premier pays africain à restreindre l’accès aux réseaux sociaux ou à internet. De façon inquiétante, ces mesures liberticides ne sont plus seulement l’apanage des cancres de la démocratie. En mars dernier, le Sénégal a limité l’accès aux réseaux sociaux durant des manifestations, parfois violentes, inédites dans ce pays plutôt stable. Le Niger a aussi restreint l’accès à internet durant les dernières élections présidentielles en février dernier. Plus classique, les vieux autocrates ougandais et congolais en ont fait de même ce printemps pour ne pas être gênés lors de leur réélection triomphale.
Coût économique
Depuis janvier 2021, la coalition #KeepItOn a recensé 50 coupures d’internet dans 21 pays du monde, dont un tiers en Afrique. L’Ethiopie continue par exemple de limiter l’accès au réseau dans la province du Tigré, reprise en main par les troupes fédérales en novembre 2020. Durant ce premier semestre, les coupures d’internet par les Etats sont en baisse par rapport aux deux années précédentes. Mais la coalition #KeepItOn met en garde sur le fait que certaines coupures durent beaucoup plus longtemps, comme au Cachemire ou dans certaines régions en conflit en Birmanie.
Les coupures d’internet ont des effets dévastateurs, surtout en Afrique, où la majorité de la population n’a pas accès au système bancaire mais compte sur les transferts d’argent en ligne. Même si Twitter ne fournit pas de services financiers, l’organisation NetBlocks estime que le Nigeria perd chaque jour 6 millions de dollars à cause de la suspension de la plate-forme. L’image du pays est aussi endommagée, alors que le géant africain tente de séduire les investisseurs, en se présentant comme à l’avant-garde de la transition numérique. Facebook prévoyait d’ailleurs d’ouvrir un bureau au Nigeria à la fin de l’année. Twitter a préféré s’installer au Ghana.