Étienne Tshisekedi, opposant historique en République démocratique du Congo (RDC), est mort mercredi à Bruxelles à l’âge de 84 ans, en pleines négociations politiques destinées à permettre un régime de transition à la suite du maintien au pouvoir du président Joseph Kabila. Selon un proche du vieil opposant, Étienne Tshisekedi est mort dans un hôpital bruxellois, dans des circonstances qui n’ont pas été révélées.

Peu de temps après l’annonce de sa mort, la police a dispersé un début de rassemblement à proximité de son parti, l’UDPS, à Kinshasa, en tirant des grenades lacrymogènes.

Il était parti il y a huit jours

Le décès de «Tshitshi», comme le surnommaient affectueusement ses partisans est survenu huit jours après son départ de RDC, en pleines négociations politiques sur un partage du pouvoir entre l’opposition et la majorité soutenant le président Joseph Kabila, au pouvoir depuis 2001.

«Il n’est pas mourant, mais il doit partir pour un contrôle (médical) à Bruxelles», avait alors déclaré à l’agence AFP un proche de la famille Tshisekedi. Mais un haut cadre de l’UDPS avait indiqué que la santé du «Vieux», comme l’appelaient certains dirigeants du parti, s’était brusquement dégradée.

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Concurrent malheureux de Joseph Kabila à la présidentielle de novembre 2011, marquée par des irrégularités massives, Etienne Tshisekedi n’avait jamais reconnu la victoire de Joseph Kabila et s’était proclamé «président élu» de la RDC après l’annonce des résultats officiels.

Sur place, la consternation

A la 10e rue Limete, siège de l’UDPS à Kinshasa, une centaine de partisans de l’UDPS étaient réunis mercredi soir en se lamentant de la perte de leur grand homme, selon une journaliste de l’AFP sur place. «C’est pas vrai, c’est pas vrai!» entendait-on çà et là. «Le leader est mort. Nous n’aurons plus un autre leader qui lutte sans recourir aux armes comme ya Tshitshi. Comment peut-il aller mourir en Belgique», l’ancienne puissance coloniale, regrette Yves, un militant de l’UDPS.

Pendant qu’une femme pleure «Ya Tshistshi» qu’elle compare à «Moïse le Sauveur», un homme crie: «Mon Dieu, pourquoi nous as-tu fait ça?».

La tension est montée rapidement avec les forces de l’ordre, qui ont tiré plusieurs grenades lacrymogènes, y compris à l’intérieur de la parcelle où se sont retrouvées bloquées une cinquantaine de personnes finalement évacuées manu militari par la police.

Le décès du «Sphynx de Limete», autour de qui s’était formée en juin une coalition d’opposants à Joseph Kabila, le Rassemblement, survient à un moment crucial pour la RDC, pays de plus de 71 millions d’habitants parmi les moins développés de la planète. La journaliste belge spécialiste de l’Afrique Colette Braeckman a souligné ce jeudi matin le poids de l’opposant dans les mouvements en cours.

Des négociations qui piétinent

Joseph Kabila est au pouvoir depuis 2001 et la Constitution lui interdit de se représenter. La présidentielle n’ayant pas été organisée avant la fin de son mandat, le 20 décembre, le chef de l’État s’est maintenu en fonction en vertu d’un arrêt controversée de la Cour constitutionnelle.

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Le 31 décembre, la majorité et l’opposition ont signé un accord politique destiné à mettre en place un régime de transition politique jusqu’à l’organisation d’une présidentielle devant avoir lieu aux termes de cet accord à la fin de l’année.

Mais les négociations sur la mise en place de cet accord, et très concrètement sur le partage des postes au sein du gouvernement, qui devaient théoriquement s’achever au cours du week-end, n’ont toujours pas abouti.

Dans un communiqué, le ministre des Affaires étrangères belge, Didier Reynders, a salué en Etienne Tshisekedi la mémoire d' «une figure politique marquante» de la RDC. Son «dernier combat […] pour le respect de la Constitution et de la démocratie a abouti à la conclusion de l’accord de la Saint-Sylvestre», a ajouté Didier Reynders, selon qui «la Belgique s’associe à la population congolaise dans sa douleur et dans son souhait de voir cet héritage du président du Rassemblement porter ses fruits et être mis en œuvre».


 

Un mobutiste zélé devenu opposant

Étienne Tshisekedi a marqué de son empreinte la vie politique de la République démocratique du Congo, d’abord comme pilier du régime du dictateur Mobutu avant de se muer en éternel opposant aux dirigeants en place à Kinshasa. Battu en novembre 2011 à l’issue d’un scrutin entaché d’irrégularités massives, il aura refusé jusqu’au bout de reconnaître la légitimité de Joseph Kabila.

De taille moyenne, les épaules larges et la tête ronde toujours coiffée d’une casquette, Etienne Tshisekedi cachait sous des airs bonhommes un caractère entêté, autoritaire et imprévisible.

Dès les premières heures de l’indépendance du pays en 1960, «le Sphinx» a accompagné l’ascension de Joseph-Désiré Mobutu, qui allait plus tard régner d’une main de fer pendant 32 ans sur le pays, rebaptisé entre-temps Zaïre.

Né à l’heure de Congo belge

Né le 14 décembre 1932 à Kananga, au Kasaï, dans le centre de ce qui était alors le Congo belge, Étienne Tshisekedi wa Mulumba est encore étudiant, en septembre 1960, lors du premier coup d’État de Mobutu, qui «neutralise» le président Joseph Kasa-Vubu et son Premier ministre Patrice Lumumba, en guerre ouverte l’un contre l’autre.

Il devient alors commissaire adjoint à la Justice dans le gouvernement transitoire qui fera arrêter en janvier 1961 Lumumba, héros de l’indépendance dont l’assassinat, quelques jours plus tard, sera sous-traité aux rebelles sécessionnistes du Katanga.

La même année, Etienne Tshisekedi devient le premier docteur en Droit du Congo indépendant. Après le coup d’État de Mobutu en novembre 1965, il enchaîne les portefeuilles (Intérieur, Justice, Plan). En 1966, il justifie comme une «action préventive» la pendaison publique de quatre hauts fonctionnaires accusés de complot contre le chef de l’État à qui l’on aura préalablement crevé les yeux.

Mubutu et lui, coureurs de filles et grands amis

Mobutu et lui étaient alors «les meilleurs amis du monde, ils couraient les filles ensemble», se souvient un proche sous le couvert de l’anonymat. Dès 1969, cependant, son étoile semble se ternir dans la galaxie mobutiste. Certains de ses proches disent qu’il commence à prendre ses distances, mais, s’il n’est plus ministre, il continue d’enchaîner des postes haut placés dans l’appareil d’État.

La rupture survient en 1980. Etienne Tshisekedi cosigne une lettre ouverte au «Citoyen Président-Fondateur» dans laquelle treize députés dénoncent les dérives dictatoriales d’un régime kleptocratique. Après un premier séjour en prison, il est libéré en 1982 et participe dans la clandestinité à la fondation de l’UDPS, parti constitué pratiquement sur une base monoethnique luba kasaïenne.

A la faveur de l’ouverture démocratique, il est élu Premier ministre en 1992. Il ne tiendra que quelques mois. Après la chute de Mobutu en 1997, il s’oppose rapidement à son tombeur, le rebelle Laurent-Désiré Kabila, père de l’actuel chef de l’État.

C’était un homme «plutôt courageux autant que têtu», se souvient un spécialiste du Congo, notant que Tshisekedi s’est levé «devant Laurent-Désiré Kabila à une époque où il était bien le seul à le faire».

Un adepte du combat politique non violent

A l’issue de la deuxième guerre du Congo (1998-2003), Tshisekedi, qui a toujours prôné le combat politique non violent, refuse de participer au gouvernement de transition et s’installe dans le rôle de l’irréductible opposant, refusant de participer en 2006 aux premières élections libres depuis l’indépendance du pays.

Dans les derniers mois de sa vie, il aura multiplié les consignes contradictoires. Refusant de participer en septembre au «dialogue national" proposé par M. Kabila, le Sphinx appelle le peuple à descendre dans la rue jusqu’à ce que le chef de l’Etat cède la place. Mais il finit par donner son aval à la participation de l’UDPS aux négociations ayant débouché sur l’accord du 31 décembre, qui consacre le maintien au pouvoir de Joseph Kabila au-delà du terme de son mandat. (AFP)